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Le plus grand conguero cubain vivant est parti sans faire de bruit… A l’ âge de 77 ans s’ éteint Frederico Aristides Soto que tout le monde connaissait sous le nom de Tata Guines.

Malade depuis des années, il cachait ses souffrances et sa maladie avec pudeur et dignité. Le départ d’ un grand artiste , même à cet âge , est toujours précoce mais le sentiment qui s’ impose aujourd’ hui est la reconnaissance de son œuvre.

Pour lui, comme pour beaucoup de cubains, l’enfance et l’ adolescence sont les moments où se développe l’art de faire sortir de chaque objet qui passe entre ses mains des sons . Par la suite d’en faire une raison de vie ou de survie…

A treize ans il assure déjà “las tumbadoras” (ndlr : les congas”) dans les orchestres de son petit village à côté de La Havane. Il n’a pas 20 ans et déjà ses qualités sont reconnues par Chano Pozo et Arsenio Rodriguez. Quel meilleur baptême pouvait-il espérer ? Ils ne s’étaient pas trompés car dans les 50 ans qui suivront, Tata Guines deviendra un personnage incontournable de la musique cubaine.

Les années 50 seront l’époque de sa definitive consécration, il rejoint La Havane où il est sollicité pour se produire avec quelques légendaires orchestres et conjuntos de cette époque comme La Sonora Matancera , Los Jovenes del Cayo, La tipica de Belisario Lopez, La Melodia del 40, la Sabor de Cuba de Bebo Valdes et avec Arcano y sus Maravillas.

En 1952, il entre dans l’orchestre de Fajardo qui venait juste de révolutionner la Charanga avec ses innovations. Mais c’ est surtout l’ époque de la fièvre des descargas ( « boeufs musicaux ») desquelles Tata entrera déjà dans la légende. Il sera appelé à participer aux irremplaçables Descargas en miniature de Cachao mais aussi à celles de Frank Emilio Flynn, Peruchin et du Nino Rivera.

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Tata Guines, Maraca, Papo Vazquez y Giovanni Hidalgo (Crédits : Bernard Chauveau – 2005)

La fin des années 50 le voit s’installer a New York où il consacre sa notoriété en se produisant à côté du légendaire orchestre de Machito. Notamment, avec cet orchestre, il aura l’honneur d’accompagner le chant de Benny Moré en transit pour le Palladium, l’épicentre de la musique cubaine a New York. Il sera ensuite la vedette du club Waldorf Astoria où il se produira en solo ou dans des descargas avec la fine fleur des musiciens du Jazz venus flirter avec lui en rénovant l’ esprit et les sons d’un mariage heureux entre la percussion cubaine et l’harmonie du Jazz qui avait donné naissance au Latin Jazz ou, pour être plus précis, à l’Afrocuban Jazz. Malgré sa notoriété aux Etats Unis, il ne choisit pas l’ exil définitif et décide de retourner à Cuba où il monte son orchestre Los Tataguinitos que se disputeront les faveurs du public avec le groupe de Pello El Afrokan en plein boom du « Mozambique ». Ce n’est pas par hasard que dans la décennie qui suit, la Salsa lui rend hommage à l’occasion de la tournée de la Tipica 73 à Cuba. Lors de cette visite qui pourrait être apparentée à un pèlerinage à la Mecque, il sera le percussionniste invité sur scène.

Les participations aux projets discographiques s’enchaînent et il serait impossible de les énumérer tous ici. Qu’il s’agisse d’Alfredo Rodriguez ou de Jane Bunnett, Cubanismo ou Maraca, Hilario Duran ou Hernan Lopez Nussa, dans les genres traditionnels ou dans le Jazz afrocubain, sans oublier la Rumba, Tata est appelé à y faire chanter ses tambours. Son premier disque sous son nom viendra seulement en 1994 avec “ Aniversario “ auquel suivra l’excellent “ Pasaporte “ réalisé avec l regretté Angà Diaz. Tout récemment, c’est Bebo Valdes et le chanteur gitan Diego El Cigala qui l’ appellent pour faire partie du magnifique projet du disque “ Lagrimas negras “ ou encore sur l’ immense “ La Rumba soy yo “.
Il est partout et personne ne veut renoncer à la beauté de ses sons qui resteront gravés dans tous ces magnifiques enregistrements.

Universel et élégant dans son jeu (il était capable de passer du Guaguancò au Son ou encore du Mambo au Jazz) il a créé son style d’exécution. Il faut chercher la particularité de son jeu dans la position de ses mains. Bien collées aux tambours, elle lui permettait une exceptionnelle vitesse et dextérité. Plus particulièrement, il élève le floreo à l’état de l’art avec ses coups indépendants de la « marcha » avec une gamme de nuances et une palette sonore impressionnante. On a beaucoup parlé de son jeu des ongles mais cette “ trouvaille “ prend tout son sens dans le contexte du discours précédent. Il s’amusait pas mal à voir les autres congueros se laisser pousser les ongles pour imiter son jeu. Mais on ne devient pas peintre avec une seule couleur !

S’il est vrai que tout le monde le voulait sur son enregistrement, il s’était pourtant pas mal fatigué à faire comprendre et respecter le rôle du percussionniste au sein de l’orchestre. Il est mort au même âge que Tito Puente mais la comparaison ne s’arrête pas là car, avec Tito, il a donné un autre statut à son instrument en le faisant sortir de l’arrière plan et lui donner la place de réel protagoniste. Grâce à lui « las tumbadoras » sont devenues autre chose et l’on peut parler d’une époque avant Tata et après Tata pour écrire l’histoire de cet instrument. Après la perte de Mongo Santamaria, Patato et de Tata, il ne reste que trois congueros légendaires de sa génération : Candido Camero, Armando Peraza et Francisco Aguabella.

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Tata Guines (Crédits : Claudio Marucci)

Mais Tata a été aussi un maître de Congueros.
Il suffit de regarder de près l’œuvre de ses élèves pour comprendre l’importance de son enseignement : de son école sortent les trois congueros de l’ Histoire d’ Irakere, c’est-à-dire, El Nino Alfonso, Angà Diaz et Yaroldy Abreu. On a du mal à chercher un héritier tant ils sont plusieurs à se nourrir de son jeu.
Ne sont plus Angà Diaz et El Nino Alfonso qu’un destin cruel nous a emportés de manière précoce…

Idem pour le jeune Lukumi, l’ex-enfant prodige qui à six ans était déjà en tournée au Japon, protagoniste d’un émouvant documentaire de Tony Gatlif. Aujourd’hui abandonné à la rue, il paye le prix d’une mauvaise gestion de ses parents. Malheureusement Tata et Chavalonga (le grand rumbero récemment disparu) ne sont plus là pour soigner son talent ou ce qu’il reste de son talent. Au delà d’une excellente nouvelle génération de congueros cubains que l’on peut apprécier dans les orchestres contemporains et dans les formations consacrées au Jazz, j’aime imaginer que la relève sera prise par un des ses « Tataguinitos », ces enfants qu’il aimait inconditionnellement et dont les rêves, comme disait bien la voix off du documentaire de Gatlif, résonnaient du son du tambour “.

Je le connaissais bien pour l’avoir rencontré plusieurs fois à Cuba comme ailleurs, qu’importe le lieu où se formait la Rumba il répondait présent.
Je garde le souvenir d’un merveilleux concert a Cuba où la section rythmique était assurée par Tata et ses tumbadoras, Changuito , timbal , Lazaga, guiro et Eladio Terry, chekere.
Mon dieu, quel sabor cette nuit !

Je me souviens aussi d’une rencontre émouvante et je dirai historique entre Tata et Cachao au Festival de Milan en Italie. Tata venait jouer à Rome mais il avait voulu monter sur Milan pour le plaisir de cette retrouvaille avec Cachao, l’ami et le musicien qui l’avait voulu à ses côtés il y a presque 50 ans pour enregistrer les légendaires Descargas de 1957.
C’était en 2004 et je me souviens avoir vu pleurer Tata pour le bonheur de cette rencontre.
Je l’ai interviewé plusieurs fois et j’ai eu l’occasion de découvrir ses qualités humaines qui se cachaient derrière l’artiste.
Tata c’était aussi ça.

On a aimé ses ongles plus que celles d’une soubrette hollywoodienne et on a ri des ses cris improbables qu’il lançait à son public. Tata c’était aussi ça.
Sa musique s’adressait plus à l’âme qu’à l’oreille.

Il ne s’agissait pas seulement d’une syntaxe de sons, d’une merveilleuse organisation de résonnances sonores de différentes hauteurs. Son jeu était un dialogue continu avec ses racines car il avait compris que loin de cette essence les sons se fanent. On a subi le charme de son jeu, de cette faculté de provoquer chez nous une hypnose. Son rythme, chacun de ses rythmes faisait vibrer notre âme en la trainant dans une conversation qui ne s’arrêtait pas avec le silence.

Sa disparition nous amène le silence mais la conversation continue car les sons, ses sons se sont emparés de nous. Pour toujours…

Mientras que hay guaguancò, Tata Guines no se muriò !

Discographie et filmographie conseillées :

. Peruchín – el marques del marfil- 1954-1965 ( tumbao )
. Cachao – descargas –cuban jam sessions – Panart 1957.
.Combo Siboney – descarga Latina – discmedi – 1966
. Típica ’73 – En Cuba. Intercambio cultural – Fania, 1978/79
. Tata Güines – Anniversario – Egrem 1994
. Tata Güines & Miguel Angá Díaz – Pasaporte – Enja – 1995
. Cubanismo – Cubanismo – Hannibal – 1996

. Hilario Durán & Cuban Jazz All Stars – Killer Tumbao – Just In Time CD – 1997
.Alfredo Rodríguez – Cuba Linda – Hannibal 1997.
.Frank Emilio Flynn – ancestral reflections – blue note -1999
. Maraca – i Tremenda Rumba ! – Cd Warner Jazz France – 2002
.Hernan Lopez Nussa – Habana report – unicornio – 2002
. Bebo & Cigala – lagrimas negras – bmg – 2003

. Lucumi le rumbero de Cuba. Tony Gatlif. Arte Video 1995
. Jane Bunnett – Cuban Odyssey – DVD – Spirits of Havana – 2003 – EMI Music
. Nosotros la música, de Rogelio París, icaic- 1964
. CUBANISIMO- a short history of cuban music ( SKD )
. Chano Pozo – the legacy of Chano Pozo – malanga time – 2006

Crédit photo 1 : Claudio Marucci