Installé en France depuis 2004, Nichito est l’un des meilleurs interprètes de la danse folklorique cubaine en Europe. Il dégage en particulier dans le rôle de Chango une énergie à couper le souffle. Nous vous invitons à découvrir le parcours de cet impressionnant artiste, venu de l’Oriente cubain pour enrichir notre pays de son talent.
« Nichito est un grand danseur, un artiste-né » (Juan Carlos « Papucho » Pedroso).
Parler de la vie de Nichito, c’est presque écrire un roman d’aventure, celui d’un jeune ingenieur en electronique de Guantanamo devenu en quelques années un danseur internationalement réputé. Mais c’est aussi retracer l’histoire de toute une génération d’artistes venus de l’Oriente cubain, qui ont réussi, au milieu d’immenses difficultés, à faire rayonner dans le monde les traditions culturelles de leur peuple.
On peut faire commencer l’histoire il y a deux siècles. C’est alors que des colons français, les Duverger, chassés comme beaucoup d’autres par la révolution Haïtienne, viennent s’installer dans l’est de Cuba, accompagnés de quelques domestiques noirs. Ceux- ci prendront, comme beaucoup d’autres, le nom de leurs anciens maîtres au moment de recevoir leurs premiers papiers d’identité de citoyens libres, à la fin du XIXème siècle (deux photos ci-dessous : danses de Tumba Francesa a Guananamo).
De cette origine, il reste dans beaucoup de familles de l’Oriente cubain un fonds culturel riche où les apports d’influence haïtienne, comme la Tumba francesa ou le Vaudu, se sont progressivement mêlés, au fil des mariages et de la vie collective, aux traditions plus proprement afro-cubaines, comme le culte des Orishas, enrichies plus tard par la Rumba.
C’est dans une de ces familles que naît à Guantanamo, en 1966, Luis « Nichito » Castillo Duverger. Castillo, donc afro-hispano-cubain par son père. Duverger, donc d’origine lointainement afro-haïtienne par sa famille maternelle. Et Nichito ? Nichito, c’est « le petit noir », un surnom que lui donnèrent, alors qu’il était un gamin haut comme trois pommes, ses camarades plus grands que lui avec lesquels il pratiquait l’athlétisme. Eh oui, notre très grand Nichito est surnommé « le petit » à Cuba…
Comme danseur, Nichito est un pur produit de la tradition populaire, la « calle » comme on dit là-bas (photo ci-dessous : une rue de Guantanamo).
Ce n’est pas, en effet, en suivant une filière académique, mais à travers une pratique d’amateur, enraciné dans la vie de quartier, que Nichito, est venu à la danse professionnelle. Ne tombons pas pour autant dans le cliché du pauvre gamin des rues. Nichito vient en fait d’une famille de la classe moyenne intellectuelle. Son père est professeur, sa mère est médecin. Lui-même passe un diplôme d’électromécanique avant de rentrer dans la vie active.
Photo Nadege Guilloux – www.calleluna.com
Mais la danse et la musique le passionnent. En 1984, il intègre le groupe de danse amateur Dix octobre. « J’étais assis à un carrefour, dans mon quartier de El Bayamo. Un ami musicien, qui passait par là, m’a proposé de l’accompagner pour jouer du tambour et danser et c’est comme cela que tout a commencé. En quelques heures, ma vie avait basculé ».
Très vite, il est repéré comme un danseur de talent. Les écoles de Guantanamo lui ouvrent leurs portes, et il peut parfaire sa connaissance du folklore cubain avec des groupes de valeur comme Los Cosia ou La Tumba Francesa de Guantanamo.
Il devient l’un des principaux danseurs du groupe Dix octobre et remporte ses premiers succès qui le mettent en confiance. « Un jour, nous avons fait un spectacle de Guaguancó et d’afro-cubain avec la grande chanteuse Mercedita Valdès. J’interprétais Elegua. A la fin du spectacle, elle s’est retournée vers nous, et nous a dit : je vous tire mon chapeau les gars, vous êtes vraiment formidables. Cela nous a fait plaisir et donné confiance en nous-mêmes » (photo ci-dessous : Nichito dans le rôle d’Elegba).
C’est dans le groupe Dix octobre que Nichito fait une rencontre capitale pour la suite de sa carrière, celle de Isaias Rojas Ramirez, alors directeur du groupe (photo ci-dessous). Celui-ci, danseur et chorégraphe, fonde en 1989, en collaboration avec une danseuse américaine, Elfriede Mahler, une nouvelle compagnie, professionnelle celui-là : Danza Libre. Leur projet esthétique, novateur pour l’époque, est d’associer danse folkorique cubaine et danse contemporaine.
Dès 1990, ils proposent à Nichito d’intégrer le groupe. Celui-ci associe des danseurs venus, comme Nichito, des rues de Guantanamo, et d’autres, dotés d’une formation plus académique, diplômés d’écoles d’art provinciales et nationales comme la Escuela Nacional de los artes (ENA). (photo ci-dessous : une choregraphie recente de Danza Libre)
« Cela a ouvert une nouvelle étape de ma vie : j’ai dû choisir entre mon travail et la danse professionnelle ». Commence alors pour Nichito une nouvelle période très excitante d’apprentissage et de découvertes. Il se souvient avec reconnaissance des trois grandes figures artistiques qui l’ont le plus marqué à cette époque : « Isaias Rojas m’a transmis toute son expérience d’enseignant, toute sa capacité expressive aussi, je suis un peu comme son miroir. Ma manière de danser, d’enseigner, vient directement de lui. Elfrieda Mahler (photo ci-dessous) m’a fait comprendre la danse en général, m’a appris comment interpréter un rôle, comment danser une scène comme si j’étais un personnage dans un tableau. Au début cela m’a paru absurde, mais maintenant cela me semble tout naturel. Elle m’a littéralement nettoyé le cerveau. Enfin, Wilfriedo Rodriguez, actuel directeur artistique du groupe, m’a enseigné le peu de danse contemporaine que je connais ».
Mais, à Danza libre, on interprète aussi de l’afro-cubain. C’est là que Nichito va s’initier à l’un des rôles qui le marquera le plus dans sa carrière, celui de Chango, dieu du feu, des tambours, de la danse et de la guerre dans le panthéon Yoruba (deux photos ci-dessous).« C’était lors de l’un de premiers spectacles de Danza Libre, Nous avions besoin d’un soliste pour interpréter Chango. Une des danseuses du groupe, Yaselis, m’a montré les principaux pas de cet Orisha. Quelques jours plus tard, je montais sur scène. Et depuis, je ne l’ai plus quitté. J’aime son énergie, sa sensualité ».
C’est notamment ce rôle, aux côtés d’autres chorégraphies d’Isaias et Elfrieda, qui permettra à Nichito d’atteindre en seulement deux ou trois ans le rang de danseur soliste dans la compagnie. il obtient également une reconnaissance officielle en se voyant octroyer le grade de danseur soliste en catégorie « folklore »[1] par la commission nationale de la danse. « Une des plus grandes émotions de ma vie, c’est quand tous ces maîtres de la danse à Cuba, le dernier jour de l’examen, m’ont félicité pour mon talent. En arrivant à l’examen, j’avais des ambitions assez modestes, mais ils m’ont finalement donné le grade très élevé de soliste. Et Antonio Perez, directeur du Groupe folkorico de oriente, dans lequel Mario Charon était à ce moment premier danseur, m’a même dit qu’il tenait ouvertes les portes de la compagnie pour moi ».
Mais le temps passe. Isaias et Elfrida ne partagent plus la même vision artistique et la compagnie Danza Libre doit se scinder. Nichito choisit de rester avec Isaias, ou plutôt de partir avec lui à La Havane en 1994 comme membre de son nouveau groupe Babul. Celui-ci est alors accueilli dans la compagnie du grand danseur Narciso Medina, dont il constitue en quelque sorte le volet folklorique. Bientôt, Babul change de nom pour devenir Ban Ra Ra. Mais avec la période économique spéciale, Narciso ne peut maintenir deux compagnies, et Ban Ra Ra devient indépendante sous la direction d’Isaias (Deux photos ci-dessous).
C’est pour Nichito une époque excitante, mais difficile aussi, qui coïncide avec la trop célèbre « période économique spéciale » et son lot de privations de toutes sortes. « On était une dizaine de jeunes danseurs, venus pour la plupart de Guantanamo pour conquérir Cuba et le monde. On répétait et on vivait dans la maison d’Isaias, transformée en école de danse. On survivait en donnant des cours aux touristes étrangers. Je ne sais pas comment il faisait pour nous apporter tous les jours notre nourriture. Cela tenait un peu du miracle, comme le vaudou en Haïti. Mais on se produisait aussi beaucoup, avec de grands musiciens comme Pupy Pedroso ou Alexander Abreu ». En quelques années, le groupe s’impose comme l’une des plus novateurs et les plus reconnus de la Havane. « Ils ont vraiment marqué une étape dans le développement de la danse cubaine à cette époque » commente Juan Carlos Papucho, un danseur cubain ami de Nichito, aujourd’hui installé à Genève.
Ces années de jeunesse à La Havane sont pleins pour Nichito de souvenirs heureux. « J’ai partagé la scène avec de grands artistes comme Fredy et Papito, Carlos Manuel y su Clan… Un jour, au Pabellon Cuba, dans le Vedado (photo ci-dessous), nous avons fait un spectacle avec le groupe Raices profondas. Nous avons interprété tous les tableaux : Ochun, Chango, Oggun. A la fin, nous étions si épuisés que nous ne pouvions plus danser… Un autre jour, la troupe de Ban Ra Ra n’était pas au complet, et il manquait des danseurs pour interpréter une scène où quatre d’entre nous portaient avec la bouche une table avec une danseuse dessus. Alors, j’ai pris un petit garçon, je l’ai assis sur la table et je l’ai porté tout seul avec la bouche. Tout le monde s’est levé et a applaudi».
C’est Ban Ra Ra qui va ouvrir à Nichito les portes tant convoitées des voyages à l’étranger. « C’est en 1998 que nous avons fait notre première tournée en Colombie pour trois mois, avec Isaias et Yaselis ». Le groupe part ensuite pour la première fois aux Etats-Unis pendant 6 mois en 1999, avec trois danseurs et 4 musiciens. Pour de jeunes danseurs d’origine modeste, qui n’avaient jamais quitté leur île natale, ce voyage prend des allures de découverte merveilleuse. « Pour nous c’était autant des vacances qu’un périple artistique. Nous avons vus tous les grands parcs, visité New York, Los Angeles, San Francisco. C’est dans cette ville que nous avons vécu un moment particulièrement émouvant. Comme le groupe n’était pas au complet, nous avons invité d’autres danseurs cubains issus d’autres groupes, comme Raices Profundas, Cotumba, Folklorico Nacional, Danza Nacional, qui habitaient là. Ils ont dansé avec nous et nous avons pu ainsi partager avec eux, à des milliers de kilomètres de notre pays, notre amour du folklore cubain ». En 2000, Nichito retourne encore une fois aux USA, également pour 6 mois, avec cette fois toute la compagnie Ban Ra Ra. « Je crois que cela a été la tournée la plus intense que j’ai connu. Le matin, nous donnions des cours, et tous les soirs, il y avait un spectacle de deux heures où j’étais soliste de 8 chorégraphies différentes ». {phoo ci-dessous : Nichito dans la compagnie Ban Ra Ra).
Mais Nichito, dont la réputation grandit rapidement, est entre-temps sollicité pour d’autres projets. En 2000, il fait partie des fondateurs de Lady salsa, un show à grand spectacle créé par deux producteurs anglais, John Lee et Toby Gough (photo ci-dessous). « Lady Salsa a été une grande expérience pour moi. Je considère Toby un peu comme mon frère ». Ils se rencontrent à La Havane, à l’occasion d’un stage donné par Nichito à un groupe venu d’Angleterre. Ils sympathisent et commencent à concevoir et répéter le spectacle Lady Salsa, un show populaire à grand spectacle. Ils partent ensuite à Londres avec 10 danseurs et le groupe Sonora la calle pour trois mois. La troupe intègre de grands danseurs comme Vivio, Manuel, Yaisel, Yanet fuentes, Mairelis, Ayamey, Greidis, ou encore Nilda Guerra qui feront par lui suite de brillantes carrières. Une anecdote parmi d’autres ? « Un soir, après le spectacle, la troupe s’était mise à danser dans le lobby de l’hôtel. J’étais déguisé, les cheveux rouges, impossible à reconnaître. Il y avait là un professeur de danse américain, venu du Colorado, qui me connaissait bien. En regardant il dit : ça, c’est une chorégraphie de Nichito. Et les autres lui disent alors : mais regarde qui est là : c’est Nichito. On n’en n’est pas revenus, ni lui ni moi ».
Nichito repartira ensuite plusieurs fois en tournée avec Lady Salsa. En 2001, ils vont en Australie et en nouvelle Zélande pour 6 mois, en compagnie des danseurs du ballet de la télévision cubaine. Ils récidivent en 2003 pendant quatre mois, avec une partie de la compagnie, renommée Lo maximo de Cuba. Et c’est en revenant de cette tournée que Nichito se produit en France pour la première fois en compagnie du groupe musical Sonora la calle. (phot ci-dessous ; demonstration de Salsa par Nichito).
Nichito commence aussi à travailler avec la compagnie Danza Guerra, fondée en 2002 par Nilda Guerra. Connue aujourd’hui sous le nom de Rakatan, ce groupe associe dans son répertoire les folklores afro-cubain et afro-haïtien (photo ci-dessous). Là aussi, les tournées internationales s’enchaînent, notamment en Europe, d’abord en Suisse puis en Italie. « Lors de l’une des dernières tournées, le danseur soliste d’afro-flamenco, qui avait préparé son rôle pendant un mois à Cuba, est tombé malade et a dû déclarer forfait juste avant le départ… Trois jours après, c’est moi qui jouais le rôle à Milan alors que j’avais répété tout autre chose ».
C’est vers cette époque, vers 2003, qu’il décide de partir de Cuba où la situation décidément n’est pas bonne pour les danseurs. « Un jour, en revenant d’une tournée à l’étranger, j’ai été manger tranquillement une pizza dans restaurant de l’hôtel Cohiba en compagnie d’une danseuse cubaine. Mais ces lieux touristiques sont interdits aux cubains. Un policier m’a emmené au poste et m’a donné une carte d’avertissement, ce qui pouvait me valoir plusieurs années de prison et l’interdiction de quitter le pays. Alors, j’ai décidé de m’en aller, d’autant que j’avais à l’époque une amie française ».
Il s’installe à Paris en 2004. Il donne bien sur des cours de salsa dans différentes écoles, comme le studio Harmonie. Mais il enseigne aussi, fait assez rare à l’époque, les danses traditionnelles afro-cubaines, afro-haïtiennes la rumba et les autres danses folkloriques de l’oriente cubain, ce qui lui vaut d’être souvent invité comme professeur par l’Institut supérieur des arts afro-cubains. « Tout mon travail s’est fait autour du folklore moderne et c’est cela que j’ai toujours aimé enseigner. La Salsa, au fond, ce n’est qu’une forme particulière, un rameau de ces danses folkloriques ».
Simultanément, il continue ses tournées avec Lady Salsa, qui le conduisent au Royaume-Uni, mais aussi en Hongrie, Lithuanie, Pologne et Russie. Mais c’est sa rencontre avec Carina Odduara Production qui lui permet d’approfondir et d’amplifier son travail artistique en France et en Europe. Il commence alors à travailler avec de nombreux orchestres, comme Sergent Garcia, Songo 21, Fiesta Cubana, Los de Azucar, Mecanica loca, Rumba Abierta. Comment s’étonner que l’on retrouve aussi dans cette liste les plus prestigieux orchestres cubains, comme Pupy y Los que Son Son, Elio Revé y su Charangon, Maikel Blanco, Manolito y su trabuco, la Charanga Habanera, Adalberto Alvarez y su Son, Habana d’Primera, El Grupo Changui de Guantanamo, et beaucoup d’autres… « Chaque fois que je me retrouve sur scène avec un grand orchestre, c’est un moment excessivement fort pour moi. C’est la réalisation d’un rêve de toujours. J’ai été particulièrement ému il y deux ans à Montpellier, lorsque j’ai dansé en face de Pupy Pedroso qui improvisait en même temps au piano… » (photo ci-dessous : Nichito pendant un concert de Pupy y los que Son Son).
En 2008, il décide de venir habiter à Lyon. Prochaine étape de son enracinement en France : la création d’une académie pour disposer d’un lieu propre pour développer son enseignement et son travail chorégraphique de manière indépendante.
« Tous les problèmes que j’ai traversé dans la vie, la danse m’a aidé à les surmonter « .
Propos recueillis par Fabrice Hatem
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[1] Le plus haut niveau de la hiérarchie officielle de danseurs établie par le ministère cubain de la culture, qui en comprend 7.
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