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Documentaires de Daniel Mc Cabe et Jeremy Marre, Etats-Unis, 2009, 105 minutes au total

ImageLa naissance de la Salsa à New-York, au début des années 1970, n’est qu’une étape dans un processus séculaire de métissage entre les musiques populaires nord-américaine (Jazz, puis Rock’n Roll) et celles des caraïbes (essentiellement Cuba, mais aussi Porto-Rico) qui se poursuit encore aujourd’hui sous de nouvelles formes. Le grand mérite de cet ensemble de quatre documentaires est de décrire de manière à la fois précise et agréable l’histoire de la Latin Music depuis les années 1940 jusqu’à nos jours.

Je dirai dans cette chronique quelques mots des deux premiers épisodes de cette saga en quatre volumes, réalisée en 2009 par Latin Music USA.

 

Le documentaire de Daniel Mc Cabe, Bridges, décrit la genèse de la Latin Music, au cours d’une période allant du début des années 1940 jusqu’au milieu des années 1960. Celle-ci est marquée par une vertigineuse succession d’inventions musicales : Latin Jazz de Mario Bauza et de Machito, Cubop et Afro-Latin Jazz de Dizzie Gillespie et Chano Pozo, Mambo de Perez Prado, épopée du Palladium avec ses trois grands orchestres (Tito Puente, Tito Rodriguez, Machito), déferlement du Cha Cha Cha… Dès le milieu des années 1950, on reconnaît déjà dans les ondulations rythmiques et suggestives des danseurs de Mambo l’antécédent direct de ce que l’on appelera, 20 ans plus tard, la Salsa (un rythme de Son, une expression corporelle de Mambo, des figures de Rock).

Le film de Jeremy Marre, The salsa revolution, décrit ensuite la naissance puis l’essor de ce phénomène musical au cours des années 1970. A la fin des années 1950, le déferlement de la vague Rock aux Etats-Unis joue un rôle ambigu en marginalisant les vieux orchestres de musique latine, mais en insufflant aussi un esprit nouveau aux jeunes musiciens de cette mouvance. Aux cours des années, 1960, les frère Palmeri créent un orchestre à la nouvelle sonorité, plus cuivré, plus rapide, plus énergique, tandis que Joe Cuba crée le style Boogalo. Un petit label, Fania, se crée vers la fin des années 1960 sous la direction commerciale de Jerry Masucci et artistique de Johnny Pacheco. Il réunit un groupe de musiciens latino jeunes et confirmés, qui affirment leur style à l’occasion de descargas mémorables et connaissent à partir de 1971 un succès foudroyant.

Le style Salsa est né. Mais en fait, il ne s’agit pas, comme l’explique d’ailleurs très bien Johnny Pacheco, d‘un style unique mais plutôt d’un réceptacle de divers genres musicaux caraïbes modernisés, regroupés sous le terme générique « Salsa » pour des raisons de lisibilité commerciale : Son urbain, musique populaire portoricaine, Jazz latino, et, pour la danse, Mambo saupoudré de figures de Rock…

Concerts de légende, albums et films à succès : les noms de Pete Rodriguez, Willie Colón, Héctor Lavoe, Cheo Feliciano, Ismael Miranda, Larry Harlow, Celia Cruz, et bientôt Rubén Blades avec ses textes engagés, trônent désormais tout en haut des box offices nord- américains. A partir du milieu des années 1970, à la suite de triomphales tournées internationales, leur renommé s’étendra au monde entier. Pendant ce temps, la Fania grossit, grossit, absorbe ses concurrents… Mais les héros commencent à se fatiguer, et Jerry Masucci revend le label en 1979, ce qui marquera le début d’un certain déclin….

Ces deux documentaires ont d’impressionnantes qualités. Ils constituent une véritable mine de documents d’époque, un concentré de quarante années d’histoires de la musique et de la danse latines à New York. Ils sont illustrés par des interviews passionnantes avec presque tous les grands acteurs de l’épopée : Mario Bauza, Candido Camero, Dizzy Gillespie, Tito Puente, Carlos Santana, Larry Harlow, Willy Colón, Eddy Palmeri, Jerry Masucci, Rubén Blades, pour ne citer que quelques-uns des plus fameux. Les commentaires sont clairs, précis, et bien articulés avec les images d’archives.

Peut-être peut-on, en cherchant bien, détecter quelques défauts très mineurs. Par exemple, une évocation à mon avis insuffisante du rôle tenu par le grand Arsenio Rodriguez, inventeur du Son Montunod ans l’implantation aux Etats-Unis de la sensibilité musicale cubaine et dans la genèse du genre Salsa. Mais cela n’empêche pas Bridges et The Salsa Revolution de constituer des documents d’une valeur inestimable, que tout amoureux de la Salsa devrait s’empresser de regarder.

Fabrice Hatem

Pour visionner les documentaires : http://www.pbs.org/wgbh/latinmusicusa/index.html#/en/wat/02/09