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Image Pour découvrir la musique cubaine en vous distrayant

C‘est en allant danser, un soir de juin 2011, dans le charmant night – club de l’hôtel Florida, situé en plein coeur de la Havana Vieja, que je fis l’acquisition de cet ouvrage dans un brocante de la rue Obispo. Une inexplicable pénurie de danseuses cubaines et de touristes étrangères me conduisit cette nuit-là à me plonger, plus tôt que prévu, dans cette lecture passionnante, dont je vous livre ici un rapide contre-rendu.

 

Né en 1937 Raúl Martínez Rodríguez est un musicologue cubain, originaire de Matanzas, ville dont il connaît les moindres recoins. Au fil des rencontres avec les artistes amateurs et professionnels de la région, il est devenu l’un des meilleurs spécialistes du folklore populaire Matanceros. Ceci explique la qualité exceptionnelle de son ouvrage, qui décrit avec une précision fascinante, mais aussi de manière extrêmement vivante l’histoire des fanfares de rues (les « coros de claves ») ou encore l’origine du fameux orchestre de Rumba Los muñequitos de Matanzas.

Largement fondé sur des témoignages directs, le livre instruit sans jamais ennuyer, car l’histoire de la musique populaire est toujours intimement associée, dans la présentation de l’auteur, avec celle des hommes et des femmes qui l’ont faite. D’où le sentiment d’une chaleureuse familiarité avec ces artistes, leurs familles, leur quartiers, les cafés où ils se produisaient…

L’ouvrage, de taille modeste, est structuré comme une succession d’une quinzaine de courts chapitre, consacrées chacun à un artiste, à un orchestre, à une œuvres marquante ou à un style musical. Son objet dépasse largement les limites de Matanzas pour aborder plus largement divers aspects de la musique populaire cubaine : Benny Moré, Miguel Matamoros, l’histoire de la habanera, le danzon mexicain, Ñico Saquito, Antonio Machin, la chanteuse la Lupe, la chanson Tropicana ou le conjunto Casino, pour n’en citer que quelques-uns, en vrac comme dans l’ouvrage lui-même, La variété des thèmes, la précision des sources, la vitalité de l’écriture fait qu’on ne s’ennuie jamais à la lecture de ce livre, qu’on parcourt un peu comme un recueil de petites nouvelles. Mais on s’instruit aussi formidablement, souvent grâce à des anecdotes frappantes qui restent ensuite gravées dans la mémoire du lecteur.

Quelques exemples, en vrac encore une fois : savez-vous que le fameux cornet chinois n’était pas présent dans les premières fanfares (« coros de claves ») de Matanzas, mais a été introduit plus tardivement, car la police locale interdisait les défilé d’orchestres composés seulement de tambours africains ? Savez-vous que plusieurs des fondateurs du fameux orchestre de Rumba Los Muñequitos de Matanzas, crée en 1952 pour défendre la culture afro-cubaine, étaient… dockers sur le port de Matantazas ? Savez-vous que le célèbre club Tropicana de La Havane tire son nom de la chanson éponyme de Alfredo Brito, qui y est depuis lors interprétée chaque soir à l’ouverture du spectacle, depuis la fondation du cabaret en 1939 ? Dans d’autres pages, nous assistons comme en direct à l’arrivée du Danzon cubain au Mexique ou de la Habanera en Espagne, à travers les allées et venues des marins et des musiciens, apportant avec eux leurs rythmes, leurs chansons et leurs instruments.

Mais c’est le court chapitre consacré à la grande chanteuse La Lupe, née à Santiago de Cuba en 1936, qui m’a le plus profondément ému. Après un début fracassant à la Havane à la fin des années 1950, auquel ses excès et ses excentricités de toute nature donnent un parfum de scandale, la chanteuse s’exile aux Etats-Unis. Là, après des débuts difficiles, elle connaît un immense succès dans les années 1960 avec l’orchestre de Tito Puente. Mais la maladie, les abus de confiance, les accidents vont peu à peu entraîner sa perte. Elle se ruine en Santeria, notamment pour sauver la vie de son mari malade, Willie Garcia. Dans les années 1970, son appartement brûle, et elle est elle-même victime d’un accident domestique qui la laisse paralysée. En 1986, l’ancienne chanteuse, scandaleuse et richissime, n’est plus une pauvre invalide, vivant dans un sous-sol à laquelle les autorités du Bronx finissent par accorder un logement sociale et une subvention spécialepour financer l’opération qui lui permettra de marcher à nouveau. Elle meurt en 1992 dans un quasi-oubli. Le chapitre qui lui est consacré ne fait que dix courtes pages, mais c’est aussi poignant qu’une pièce de Tchekov.

Si vous avez un jour la chance de trouver ce livre lors d’un voyage à Cuba, lisez-le : je suis resté tout ébloui par sa magie et sa fraicheur. Le projet du livre – Para el alma divertir, pour divertir l’ame – me semble ainsi pleinement atteint.

Raúl Martínez Rodríguez, Para el alma divertir, coll. Músicos Cubanos, Ed. LetrasCubanas, 2004, La Havane 153 pages.

Fabrice Hatem