Sélectionner une page

Image Un voyage vers les racines africaines de Cuba

Tous les amoureux de la culture cubaine connaissent et reconnaissent les liens multiples qui l’attachent à ses racines africaines. De nombreux ouvrages de grandes qualité, à commencer par ceux de Fernando Ortiz et Lydia Cabrera, ont décrit de manière détaillée les traces de cet héritage – rites, coutumes, croyances, musiques, danses, etc. – telles qu’elles peuvent ou ont pu être observées dans l’île. Mais sans aller jusqu’à entreprendre le voyage vers le continent dont elles tirent leur origine.

L’intérêt de l’ouvrage de Heriberto Espinozo, Yoruba, un acercamiento a nuestras raíces,est justement de franchir cette distance géographique et temporelle pour nous mettre en présence de l’un des principales sources de l’afro-cubanité, la culture Yoruba, ethnie dont furent originaire un grand nombre d’esclaves noirs transplantés vers Cuba à partir du XVIème siècle. Celle-ci, localisée grosso modo dans la partie Sud-ouest du Nigéria, fut l’une des civilisations les plus avancées d’Afrique avant de sombrer, à partir de la fin du XVIIIème siècle, dans de sanglantes guerres civiles, et de succomber aux attaques croisées de l’Islam et de la colonisation européenne.

 

Les trois premiers chapitres retracent l’histoire de cette civilisation, depuis sa fondation au début du Xème siècle de notre ère par le légendaire Oduduwa – personnage historique plus tard déïfié. Elle décrit l’essor et l’apogée de l’empire Oyo et de sa capitale, Ifé-ifé, dont subsistent encore d’importants vestiges. Enfin, elle évoque les terribles guerres civiles du XIXème siècle qui, alimentées dans leurs dernière phases par la colonisation anglaise, entrainèrent l’effondrement de cet empire.

Le quatrième chapitre décrit les institutions de la société yoruba, depuis le pouvoir suprême jusqu’à la vie locale et familiale. Il nous fait ainsi découvrir le très haut niveau d’organisation politique et administrative atteint par cet empire, même si certains de ses aspects – comme la quasi-réclusion de l’empereur dans son palais ainsi que la mise à mort de différents dignitaires ainsi que de son fils premier-né au moment du décès du monarque – peuvent paraître très étranges à l’aune de nos critères modernes.

Les trois chapitres suivants, consacrés à la culture et aux traditions, ne contient malheureusement que de très succincts rappels sur la musique. Elle propose par contre d’intéressants développements sur la chanson et la poésie traditionnelles Yoruba, ainsi que sur les « festivals » à caractère historique ou religieux, cérémonies drainant une assistance nombreuse et s’étalant sur plusieurs jours, qui sont encore aujourd’hui célébrés au Nigéria, à différentes époques de l’année, par les héritiers de cette civilisation : festivals Agbon, Obatala, Egungun, etc.

Enfin, les deux derniers chapitres sont consacrés aux croyances et aux rites religieux proprement dits. Nous y retrouvons avec beaucoup d’émotion le panthéon et des rituels de la Santeria Cubaine, mais dans leur version en quelque sorte originale, antérieure au phénomène de métissage qui se produisit à Cuba au contact d’autres traditions religieuses et dans des contextes sociaux complètement différents.

Cet excellent ouvrage d’ethnographie possède en résumé trois grandes qualités : il nous fait remonter aux sources originelles de cette culture afro-cubaine tant aimée ; il fait revivre tout un pan mal connu de l’histoire du continent africain ; et il nous fait prendre la mesure du haut niveau culturel atteint par la civilisation Yoruba, et dont témoigne, outre la complexité de son organisation étatique, la beauté de ses sculptures de terre, de pierre, de bronze et de bois.

Fabrice Hatem

Heriberto Feraudy Espino, Yoruba, un acercamiento a nuestras raíces, Editorial de Ciencias sociales, 220 pages, La Habana, 2009