Pour consulter une traduction de cette chanson, cliquez sur le lien suivant : vaiven.
Ecrite en 1936 par Ñico Saquito, cette guajira dépeint de manière très émouvante l’accablement du paysan cubain face à l’exploitation et à la misère. Comme l’auteur l’explique dans une intéressante interview donnée dans les années 1970 à la télévision cubaine, elle puisse sa source dans des anecdotes réelles dont il fut témoin. C’est sans doute cette authenticité – ainsi sans doute, que le caractère « engagé » du texte, véritable « Cancion de protesta » avant la lettre – qui explique la popularité jamais démentie de cette chanson à Cuba, tout particulièrement auprès des paysans.
On notera que Al vaivén de mi carreta est pratiquement contemporaine de El Carretero de Guillermo Portabales, autre guajira célèbre mettant en scène le même personnage principal : un charretier qui chante en conduisant son attelage. Mais autant le climat de la première est sombre, désespéré, et emplit l’auditeur d’un sentiment de révolte face à l’injustice sociale, autant celui de la seconde est optimiste, joyeux et apolitique.
Faut-il voir dans cette opposition le signe d’un clivage politique entre les deux auteurs ? Il est vrai que Ñico Saquito choisit de retourner vivre à Cuba en 1960 après la révolution castriste, tandis que Portabalés fit, au contraire, le choix de l’exil et exprima dans plusieurs textes son opposition au nouveau régime socialiste. Mais il n’en demeure pas moins que Portabalès est aussi à l’origne de l’une des plus émouvantes interprétations de Al vaivén de mi carreta que j’ai écouté en préparant cet article. Peut-être peut-on clore (provisoirement) ce débat en disant qu’il n’est pas forcément nécessaire d’être politiquement engagé pour traiter des thèmes malheureusement éternels de l’injustice et du malheur ?
J’ai éprouvé quelques difficultés pour reconstituer un texte espagnol de référence avant de réaliser ma traduction. En effet, les différentes interprétations auxquelles j’ai pu avoir accès, y compris celles réalisées par Ñico Saquito ou en sa présence, présentent chacune des différences très substantielles de contenu et de structure. Cela est sans doute lié au fait que le style de la Guajira laisse traditionnelement un large large marge de ré-arrangement et d’improvisation à l’interprète, comme en témoigne également l’exemple de Guantanamera.
Pour résoudre cette difficulté, j’ai choisi de reconstruire moi-même une sorte de « pseudo-texte de référence » englobant le contenu de la plupart des interprétations que j’ai écoutées. Afin de le rendre propre à l’exercice d’écoute-lecture que je vous propose, que lui ai donné même structure que dans version d’Ibrahim Ferrer accompagnée par l’orchestre des Afro-cuban All Stars. Cependant, Ferrer ne chante pas le premier couplet de la chanson et introduit au milieu de celle-ci un couplet supplémentaire improvisé (non reproduit dans ma traduction). De plus, le couplet final de 6 vers, qui habituellement est chanté à la fin, est introduit par Ferrer au milieu de l’arrangement.
Quant aux autres versions, elles présentent une grande diversité. Par exemple, Celina Gonzales, chantant en présence de l’auteur, introduit un texte passablement modifié en milieu de chanson, dont je n’ai pas trouvé trace ailleurs. C’est également le cas de Guillermo Portabales, qui lui aussi propose à partir du second couplet un texte personnel, quoique très proche dans son inspiration de l’original – ou supposé tel. Le groupe AfroCubism – avec Eliades Ochoa dans le rôle du chanteur principal – introduit quant à lui des couplets en langue africaine.
Je n’ai malheureusement pu avoir accès à la dernière interprétation de Ñico Saquito lui – même, réalisée quelques années avant sa mort pour l’album « Goodby Mr Cat ». La seule vidéo où j’ai pu voir l’auteur – déjà bien vieux – chanter à La botiga del medio de la Havane est écourtéeet ne permet d’entendre que le premier couplet d’une autre chanson célèbre du même auteur, Marai Christina me quiere gobernar.
Chacune des interprétations précédentes présente, pour une raison ou une autre, un grand intérêt et mérite l’écoute. Cependant, je vous propose, pour vous simplifier la vie, de commencer par écouter Al vaivén de mi carreta dans l’interprétation de Ibrahim Ferrer tout en lisant ma traduction basée sur cette version (hors l’improvisation du chanteur).
Fabrice Hatem
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