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Image Pour lire la traduction de cette chanson, cliquez sur le lien suivant : Paroles.

Composée en 1978 par Ruben Blades, El Cantante fut l’un des plus grands succès du chanteur d’origine portoricaine Hector Lavoe. Au delà de sa valeur artistique intrinsèque, cette oeuvre constitue un témoignage intéressant du processus par lequel la Salsa est née, au cours des années 1960 et 1970, d’une évolution des formes de la musique populaire traditionnelle des Caraïbes, et tout particulièrement du Son Cubain.

Cette chanson, que nous classons de manière spontanée dans la catégorie musicale « Salsa », est en fait extrêmement proche d’un Son Cubain par sa structure : exposé du thème en quelques couplets, suivi d’un dialogue entre le chanteur soliste et le chœur ; part de plus en plus grande laissée à l’improvisation (vocale et instrumentale) au fil de l’interprétation, tandis que l’atmosphère musicale monte progressivement vers un « climax » final.

Cette appartenance de El Cantante à l’univers « Sonero » est quelque peu masquée par la présence dans l’orchestre d’instruments étrangers aux groupes de Son traditionnels et typiques au contraire de la Salsa (extension de la section de cuivres par introduction notamment de trombones, présence du piano et même de cordes dans certaines versions[1]). On assiste ainsi, en « direct » en quelque sorte, à la mise en oeuvre du processus de transmutation musicale conduisant du Son traditionnel à la Salsa moderne.

L’auteur de la chanson, Ruben Blades, de mère cubaine quoique de nationalité panaméenne, semble d’ailleurs avoir éparpillé à dessein dans son texte et dans sa partition des « clins d’œil » soulignant cette filiation. Homme d’une grande culture, il est d’ailleurs coutumier du fait, comme le montre l’analyse de certaines autres de ses Salsas célèbres, comme Pedro Navaja, directement inspirée de la chanson de Kurt Weill, Mack the Knife, et remplie de « citations » musicales et littéraires. Il a, semble-t-il, procédé de même dans El cantante, mais pour faire cette fois de sa chanson un hommage cryptique au Son Cubain.

Par exemple le terme pregon, typiquement cubain, évoque les petits refrains chantés par les marchands des rues pour vanter leur marchandise, et dont de nombreux Sones célèbres, comme El Manisero ou Echale Salsita, se sont directement inspirés. De même, l’expression « pregon de la montaña » pourrait être considérée comme une référence aux origines du Son, né dans les collines des environs de Santiago de Cuba. Enfin, la mélodie du refrain est très proche de celle de la chanson Vamonos Pa’monte de Eddie Palmieri, qui est elle-même directement inspirée par le Son.

Quant au chanteur, Hector Lavoe, parfois surnommé El cantante de los cantantes, il a joué un rôle majeur dans l’essor de la Salsa au cours des années 1970 et 1980, au sein notamment du label Fania All Stars. Il rend d’ailleurs hommage, dans la version que je vous propose d’écouter ici, à plusieurs autres chanteurs membre du groupe Fania, comme Celia Cruz, Ismael Rivera ou Cheo Feliciano.

Notons pour conclure que la chanson El cantante est si fortement identifiée à Hector Lavoe qu’elle constitue aussi le titre d’un film consacré à la vie de cet artiste, décédé du Sida en 1993, et dont le rôle est interprété par un autre « grand » de la Salsa, Marc Anthony.

Je vous propose d’écouter cette chanson interprétée par Hector Lavoe, tout en lisant ma traduction.

Bonne écoute et bonne lecture.

Fabrice Hatem


[1] On entend clairement la présence de violons dans la version que je vous propose d’écouter, mais ceux-ci ne figurent pas à l’image, qui apparemment correspond à une autre interprétation où les cordes (contrebasse mise à part) sont absentes.