Qui parmi nous n’a déjà rêvé d’une grande croisière dans les Caraïbes, pour y découvrir, en navigant d’une île à l’autre, la foisonnante diversité des musiques et des danses de la région ? Ce voyage magnifique, l’association Cuba Sin Fronteras nous propose de le réaliser en un seul jour. Et pour un prix de transport plus que modeste : un ticket de RER de zone 4. Pour la 8ème année consécutive, la ville d’Argenteuil va en effet accueillir, 23 mars prochain, le festival Caribedanza. L’objectif de celui-ci : familiariser le public français avec la diversité des expressions culturelles Caraïbes, tout en lui faisant prendre conscience de leur unité profonde. Pendant toute la journée, voisineront dans la salle des fêtes Jean Vilar d’Argenteuil la Samba, le Son, la Rumba, les danses Afro-cubaines, la Rueda, la Bachata, la Salsa, la Kizomba… et j’en oublie….
Une coexistence qui ne choque aucun des vingt artistes mobilisés pour animer le festival, tous convaincus que ces différentes formes d’expression populaire forment en fait une même famille. « Les musiques des caraïbes sont toutes issue d’un processus de métissage multiséculaire entre polyrythmies africaines et mélodies européennes, qui a donné lieu à la naissance d’une phénoménale variété de styles » explique le danseur Cubain Carlos Rafael Gonzales, l’organisateur du festival. Un point de vue partagé par son collègue portoricain Felipe Polanco : « Les phénomènes de métissage qui se sont produits à Porto Rico et à Cuba sont très proches, même si les ingrédients de départ n’étaient pas exactement les mêmes.»
Nelson Palacio au festival Caribedanza 2012
Comme les musiques, les danses présentent, au-delà de différences superficielles ou factices, de fortes similitudes. Elles associent toutes en effet des éléments d’origines africaines (ondulations du corps, déhanchements et mouvements pelviens, genoux pliés, connexion étroite avec le rythme musical…) et européennes (danse de couple enlacée, tenue corporelle, recherche des bonnes manières et de la distinction…). Et Carlos de me démontrer, exemples à l’appui, les passages possibles, à travers des transformations parfois minimes, entre différentes danses caraïbes comme le Son, le Cha Cha Cha, la Salsa, la Samba, la Bachata, et même avec certaines danses africaines récemment influencées par le folklore des Caraïbes, comme la Semba angolaise contemporaine.
Carlos et Maire Line en démonstration de Son
Installé à Paris depuis 1999, Carlos y a joué depuis lors un rôle important dans la diffusion des cultures cubaine et caraïbes, d’abord comme professeur de danse à la Pachanga, puis comme animateur du fameux Diab’litho, qui fut l’un des hauts lieux de la culture populaire latino dans la capitale jusqu’à sa fermeture en 2010. « Il faut transcender les barrières un peu artificielles qui ont été créées en Europe entre les différentes formes de culture caraïbes, alors qu’ils ont en fait une unité profonde. Quand j’étais à Saint Domingue, je me sentais chez moi : même mélange ethnique, même culture yoruba, même sens de fête, même désordre aussi. Cela ressemblait beaucoup à Santiago de Cuba » explique-t-il. « J’aime bien le mélange de tous ces rythmes afro caraïbes. C’est pourquoi je voudrais faire voyager les gens, les former à la connaissance de cette histoire, en prenant ce qu’il y a de bien dans chaque culture. C’est ce que j’ai essayé de faire au Diab’litho, et maintenant avec Caribe Danza.» Un peu comme un modèle réduit du Festival des Caraïbes qui a lieu chaque année à Santiago de Cuba, et auquel Carlos voue apparemment une admiration profonde.
Miguel Gomez y orquesta au Festival Caribedanza 2012
En arrivant à Paris, Carlos a découvert un univers culturel et un état d’esprit très différents de ceux de Cuba. « Ici, les gens sont dans une bonne situation matérielle, mais ont une attitude un peu inhibée. Ils veulent prouver quelque chose aux autres et à eux-mêmes et en dansant. A Cuba, les gens dansent où et comme ils peuvent, pour oublier des conditions de vie difficiles, qui leur donnent par ailleurs une grande force intérieure. Ils cherchent à s’amuser, à communiquer entre eux, à prendre chez chacun ce qu’il a de bien, pas à impressionner les autres ou à entrer en compétition. Aussi, j’essaye d’apprendre à mes élèves à s’ouvrir, à accepter la diversité, le droit à l’erreur, à se débarrasser des peurs qui paralysent. Une fois que l’on a libéré son esprit, on peut faire ce que l’on veut avec son corps. Il est très important de transmettre ces valeurs, d’enseigner ces bases culturelles et corporelles aux européens. »
Alexandre Abreu en 2010
Le festival Caribedanza a été créé il y a huit ans, sous le nom originel de Cubanadanza. « Mais nous avons changé le nom au bout de quelques années, pour élargir la manifestation à l’ensemble des expressions culturelles de la région » explique Carlos. Modeste à ses débuts, celle-ci a progressivement pris de l’ampleur, les succès donnant à chaque fois un peu plus de courage aux animateurs. « La venue d’Orlando Poleo, en 2008, a été un grand moment », explique Nadine Barrillet, présidente de l’association Cuba Sin Fonteras. « Mais c’est lorsque nous avons appris, en 2009, que Manolito Simonet acceptait de participer au festival que nous avons réalisé que les gens nous faisaient vraiment confiance. La soirée a été une grand succès et cela nous a beaucoup encouragés à poursuivre ».
Manilito Simonet y su trabuco en 2009
Aujourd’hui, Caribedanza est devenu un évènement de grande ampleur, mobilisant plus de 50 bénévoles et 20 professeurs. au fil des années, il a vu défiler de prestigieux artistes, comme Alexander Abreu, Geraldo Piloto avec son groupe Kllimax, Cuban Mob…..
Geraldo Piloto et Klimax en 2011
… et aussi plein de groupes de danse, comme l’équipe de démo de l’école salsabor…
…ou le groupe la Timba basé à Caen …
C’est aussi un moment important dans la vie culturelle de la ville d’Argenteuil, dont les habitants participent en masse aux différents stages d’initiation à la danse organisés tout au long de la journée ainsi qu’à la grande soirée de clôture.
Un public conquis par Klimax
Cette année, le festival accueillera pour sa soirée rien moins que le Charangon d’Elio Revé. Un orchestre très profondément ancré dans les formes d’expression populaires cubaines, comme le Changüi, et bien au diapason de cette recherche d’authenticité qui constitue l’esprit de Caribedanza. Les billets se vendent bien et les organisateurs espèrent la venue de plus de 1000 personnes au concert.
Au-delà de leur air de famille, les cultures caraïbes présentent aussi une incroyable variété, comme une poignée de pierres précieuses aux reflets infiniment nuancés jetés par l’histoire moderne sur les rivages de la région. La diversité des origines ethniques, les aléas de l’histoire, les caprices de la géographie, les interactions complexes entre les différents bassins culturels ont constitué le creuset de mille combinaisons originales : Plena portoricaine jouée par des formations proches de celle du Son, mais dont la structure rythmique s’apparente plutôt à celle du Merengue dominicain ; Bomba pratiquée par les esclaves Noirs des plantations côtières de Porto-Rico, mais présentant de fortes similitudes avec la Rumba des faubourgs pauvres de La Havane et de Matanzas ; forte présence dans l’oriente cubain de la culture afro-franco-haïtienne amenée au début du XIXème siècle par les colons français chassés par les révoltes de Toussant Louverture, accompagnés de leur derniers esclaves fidèles ; Cumbia colombienne intégrant des influences noires, européennes et indiennes, pratiquée par les pêcheurs pauvres de la côte de Carthagène, et qui a beaucoup influencé la Salsa…
Tagnon Sessou danse la rumba
Ce syncrétisme s’est également à travers un processus historique complexe de filiations, de transmutations et d’influences croisées : « le Cha cha cha vient du Danzon ; la Bachata est en partie issue du Son ; la Rueda de casino a joué un rôle majeur dans le développement de la Salsa dansée » nous rappelle Carlos. Felipe Polanco, de son côté, évoque volontiers les fortes influences croisées qui sont produites, au cours de l’histoire entre les cultures populaires de Cuba, de la République dominicaine et de Porto Rico.
Yoannis Tamayo en démonstration
Pour rendre compte de cette diversité, les organisateurs ont réuni un « dream team » éclectique d’une vingtaine de danseurs représentants de toutes les cultures de la région : Cuba, Porto-Rico, Vénézuela, Brésil…
Je connaissais déjà plusieurs d’entre eux, dont les noms éveillent pour moi de nostalgiques souvenirs de Santiago de Cuba, ville aimée entre toutes : cours de Son sur les terrasses du quartier de Tivoli avec Victor Manuel Zapata ; accueillants diners offerts par Yanet Ochun dans sa maison familiale située près de la rue Heredia ; interviews d’Onilde Gomez Valon pour Fiestacubana.net où celui-ci évoquait les danseurs de rumba et les groupes de conga de son quartier d’enfance de Los Hoyos, où j’ai moi-même si souvent flâné…
Carlos et Yanet et démonstration
Mais ce reportage m’a également permis de découvrir d’autres artistes : le brésilien Alex Lima, accompagné de ses joueurs de tambours, dont la pédagogie est largement axée sur l’éveil du sens musical de ses élèves de Samba ; la vénézuélienne Yulaidis Villaroel, spécialiste reconnue des danses afro-caraïbes ; ou encore le portoricain Felipe Polanco, dont l’enfance, dans une petite ville située entre San Juan et Loiza, a été bercée à la fois par les Salsa viejas jouées par son père musicien et par les danses traditionnelles de son pays : Bomba, Plena…
Yulaidis et Léo dansent la Kizomba
La plupart de ces artistes sont installés en France, plus particulièrement à Paris, comme Felipe Polanco, tombé amoureux de notre capitale il y a dix ans et qui depuis n’en n’est plus reparti. Le programmen du festival témoigne en cela de la richesse et de la diversité de la présence caraïbes dans notre pays « On retrouve à Paris des gens venus de toutes les Caraïbes », explique Carlos. « Comme ils se sentent parfois un peu seuls, dans une culture étrangère à la leur, ils se réunissent dans des endroits comme hier le Diab’litho ou aujourd’hui la Peña Saint Germain. » Un sentiment d’appartenance commune se forme ainsi. Après voir été la capitale de la littérature latino américaine dans les années 1980, et l’un des centres les plus actifs de la renaissance du tango argentin à la fin du XXème siècle, Paris est-il en passe de devenir l’un des creusets de la culture pan-caraïbes de demain ?
Fabrice Hatem
Pour en savoir plus sur le festival Caribedanza : www.caribedanza.com
Commentaires récents