Manuel José Denis Martinez est une valeur importante de la Timba cubaine et plus généralement de la Salsa. Ce musicien au talent multiforme a en effet été rien moins que membre fondateur du Trabuco de Manolito Simonet, chanteur du groupe Klimax et du Afro-Cuban All Stars, et compositeur de nombreux thèmes interprétés par les chanteurs les plus célèbres comme Gilberto Santa Rosa. Il a également collaboré avec Pancho Amat, Diego Peláez et Willy Rosario.
Mais c’est en tant que directeur et chanteur de son propre groupe Denis y su Swing qu’il est venu donner un concert au Festival Latinossegor d’août 2013.
Cet orchestre nous propose une salsa romantique aux irisations très variées, allant du Cha Cha Cha au Mambo en passant par la Cumbia et le Rap. Son récent thème El Drama donne une assez bonne idée de cet éclectisme stylistique.
Mais j’ai surtout découvert en la personne de son animateur principal, Denis,une « bête de scène » à l’énergie impressionnante, capable de soulever progressivement d’enthousiasme une foule initialement placidede plusieurs milliers de personnes.
http://www.youtube.com/watch?v=SWxahm9QD7s Ce n’est cependant pas sur une scène de spectacle que j’ai vu Denis pour la première fois, mais au bord de la piscine de l’hôtel d’Hossegor où nous résidions tous les deux. J’étais en train de rôder dans les lieux, à l’affut de quelques images d’ambiance pour le reportage que je préparais pour le festival Latinossegor. En passant devant la piscine, je vis dans l’eau un homme assez corpulent, à la peau couleur café au lait, au visage rond et jovial, barbotant joyeusement en aspergeant assez généreusement les alentours. Pensant qu’il agissait de l’un des musiciens des orchestres qui jouaient ce soir-là, je braquais sur lui ma caméra pour tourner quelques images. Ce que voyant, il commença à me faire de grands signes et à barboter de plus belle. Visiblement très heureux d’être l’objet de mon attention cinématographique, il riait à gorge déployée tout en échangeant quelques plaisanteries avec un autre chanteur cubain, Moreno Chembele, accompagné de son épouse.
Je venais de faire la connaissance du chanteur et compositeur Manuel José Denis Martinez, dit Denis.
L’étape suivante de ma rencontre avec ce personnage à la fois chaleureux, extraverti et hypersensible, se déroula sur la scène du concert, sur la place des Landais d’Hossegor, une jolie place rectangulaire entourée de petites terrasses de restaurant où l’on peut déjeuner agréablement face à la plage – celle-là même où se déroulent en automne des compétitions mondiales de surf.
Avec Denis et son hyperactivité permanente, la scène de répétition se transforma ce jour-là en une sorte de jam session improvisée entre amis : Denis, dans son rôle de maître de céans, allait, omniprésent, d’un musicien à l’autre, réglant ici un micro, essayant là un instrument –car il joue d’à peu près tout – discutant de la position d’un micro avec les techniciens… Un mélange d’homme-orchestre et d’ouragan.
Mais je ne l’avais pas encore entendu chanter !!! Comme l’orchestre jouait déjà depuis une bonne demi-heure, la balance ressemblant de plus en plus à une jam session improvisée par son enthousiaste directeur, la foule des vacanciers commença à s’agglutiner autour de l’estrade pour écouter et prendre quelques photos. Denis, visiblement ravi d’avoir devant lui un public, commença alors à chanter pour eux, oubliant visiblement qu’il était simplement en train de répéter. Comme les gens s’approchaient de plus en plus nombreux, Il commença à s’adresser à eux, leur demandant ce qu’il voudrait entendre et interprétant pour eux quelques notes de leur chanson favorite. Avec son public improvisé, il semblait vraiment nager dans le bonheur, heureux de leur donner du plaisir et de partager avec eux tout en étant au centre de leur attention – une bande d’amis joyeux tournés vers lui comme le tournesol vers le soleil. Tout le monde était ravi et moi le premier. Mais lorsqu’il me vit filmer la scène, ce fut pour lui comme une poussée d’adrénaline supplémentaire. II se mit alors à sourire, chanter et danser devant la caméra.
Mais Denis sait aussi faire preuve d’une chaleureuse sollicitude pour ceux qu’il a choisis pour amis. Un moment indisposé par la chaleur, je m’étais en effet étendu, à l’arrière de la scène, sur une grande caisse de matériel. Remarquant que je n’étais plus à ses côtés, il vint prendre – marque d’intérêt qui me toucha beaucoup – de mes nouvelles. Et il le fit avec tant de jovialité et de bonne humeur que j’éclatais d’un rire amical tout en lui disant : « el periodista esta cansado », « le journaliste est fatigué ». Lui-même éclata alors de rire en faisant passer l’information à la cantonade, musiciens et public inclus, avec une sorte de jubilation enfantine : « el periodista esta cansado !! », « el periodista esta cansado !!». Puis il revient vers moi, me serra dans ses bras et commença à me chanter… une berceuse sur le même thème, tout en ajustant, pour me procurer un meilleur confort, le petit sac à dos que j’avais mis derrière ma tête en guise d’oreiller. Venant d’une gloire de la Timba cubaine, j’étais évidemment très touché par de telles marques d’attention…
Il s’en est finalement fallu de très peu, me semble-t-il, pour qu’il ne commence à improviser un embryon de chanson sur cette phrase…. Enfin, si l’été prochain, vous entendez une nouvelle Salsa intitulée « El periodista esta cansado » et composée par Denis, vous saurez comment lui est venue l’inspiration… Car, comme vous l’apprendrez peut-être en lisant l’entretien qu’il m’a accordé, Denis n’est pas seulement chanteur et directeur d’orchestre, mais aussi – et peut-être surtout – compositeur…
Le reste de l’après-midi se passa autour de la piscine, où les musiciens avaient amené quelques bouteilles de rhum « 7 años », que nous partageâmes en frères… Moins aguerri que mes amis cubains, c’est donc la tête un peu lourde et la démarche légèrement titubante que je me rendis place des Landais pour filmer le concert de Denis y su Swing après l’avoir dûment interviewé.
Ce qui m’impressionna le plus, durant la soirée, fut la très forte présence scénique de Denis et sa capacité à instiller progressivement un enthousiasme collectif dans une foule de plusieurs milliers de personnes au départ relativement calme. Essayons d’en détailler la recette :
– Une formation à l’énergie rythmique communicative, dont le directeur sait mettre en valeur les interprètes en les invitant à des improvisations solos, tout en faisant preuve lui-même d’une impressionnante vitalité.
– Un meneur de jeu généreux qui aime partager la scène avec d’autres artistes invités – comme ce soir-là chanteur Moreno Chembele (photo ci-contre) et la jeune chanteuse Orielis Mayer Lugo (photo ci-dessous).
– Un sens instinctif de la communication avec le public, qu’il sait interpeler, stimuler en reprenant un thème connu comme Guantanamera ou Chan Chan, associer à son jeu de scène en invitant les meilleurs danseurs à venir le rejoindre sur scène pour un petit spectacle improvisé, ou encore en prenant un enfant dans ses bras pour chanter avec lui.
– Enfin, un talent artistique multiforme. Car Denis est à la fois compositeur (un grande partie des thèmes qu’il interpréta ce soir-là étaient de lui), arrangeur (les vieux thèmes comme Guantanamera ou Chan Chan sont « relookés Timba » par lui de manière très convaincante) et chanteur improvisateur (Denis semble capable de bien chanter n’importe quoi, n’importe où et avec n’importe qui). Ajoutons à cette liste déjà longue qu’il est capable de jouer un nombre impressionnant d’instruments (Piano, congas, guitare…)
Bref, avec Denis en meneur de jeu, la scène devient un lieu de fête partagée et improvisée.
Cela se fait-il au détriment de la rigueur et de la clarté musicale ? A chacun de se faire une opinion. En tout cas, j’ai pour ma part passé un excellent moment, surtout pendant la première partie du concert où l’extraordinaire énergie musicale de Denis était parfaitement contrôlée (pour revivre quelques thèmes de ce concert, cliquez sur les liens internet en bas de l’article).
Mais juste avant le concert, Denis avait eu l’amabilité de répondre à quelques-unes de mes questions.
Je vous livre ici le contenu de cet entretien, où il égrené quelques-uns des plus chers souvenirs de sa riche carrière musicale.
Manolito Simonet y su Trabuco
Denis a été membre fondateur en 1992 du groupe Manolito Simonet y su Trabuco, avec lequel il a mené pendant plusieurs années une intense activité musicale. Il m’a expliqué les circonstances de son entrée dans l’orchestre. « Je connaissais Manolito depuis longtemps. Lorsque j’avais 14 ans, il était directeur du groupe Maravilla de Florida. Ils sont venus donner un concert dans ma ville natale, Ciego de Ávila,dans la région de Camaguey. Je regardais l’orchestre, très enthousiaste. Tout à coup, je suis monté sur la scène et j’ai dit à un musicien que je voulais chanter. Manolito m’a regardé et a dit : « Fait chanter le petit ». J’ai commencé à chanter. Quand je suis sur la scène, je deviens une autre personne, je suis complètement en transe. Les musiciens me regardaient et semblaient se dire : « Comment est-il possible qu’un gamin de cet âge puisse avoir l’expérience d’un artiste confirmé ? ». A la fin du concert, Manolito m’a dit : « Quand tu seras grand, tu vas travailler avec moi. »
« Dix ans après, j’habitais La Havane où j’étais arrivé en 1992. Je me suis présenté à Manolito qui était en train de fonder son orchestre Manolito y su Trabuco. Il m’a dit : « tu es le petit gars qui a chanté il y a dix ans à mon concert à Cienfuegos. Ce n’est pas la peine de faire un essai. Tu peux chanter avec moi. ».» J’ai commencé à chanter avec eux dès la fondation du groupe. Ils ont aussi mis à leur répertoire des compositions de moi, comme Guiro, Calabaza y Miel. Cela a été une période musicalement très intense. »
Le groupe KIimax
En 1995, Denis a participé à la fondation du groupe Klimax de Giraldo Piloto, où il a été à la fois chanteur principal et compositeur. Il a enregistré deux CD avec cet orchestre Mira si te gusta et Juego de Manos, réalisant de nombreuses tournées internationales qui lui ont visiblement laissé un souvenir très intense.
« Klimax été l’orchestre où j’ai pu me développer comme compositeur et chanteur et où j’ai pu m’intégrer à la nouvelle génération de la musique populaire cubaine, dont Giraldo Piloto est selon moi l’un des plus grands représentants vivants. Lorsque je suis venu le voir pour la première fois j’avais eu un accident et j’étais en chaise roulante. Lui était déjà connu et jouait dans plein d’endroits comme le Tropicana. Il m’a demandé ce que je voulais et je lui ai répondu que je souhaitais chanter avec lui. Il a alors décidé de me faire passer un test. Il m’a dit : « je vais te faire écouter une chanson et il faut que tu la chantes. Combien de temps te faut-il pour la chanter ? » Je lui ai répondu : « dix minutes », car j’ai une grande mémoire musicale. Il me regarde, un peu surpris, me donne un disque avec trois thèmes et me conduit dans une chambre. J’ai écoute les chansons une fois. Il revient au bout de dix minutes et me dit de chanter la chanson. Je le fais, et il me regarde encore avec surprise, puis me dit : « C’est ok, je te prends dans mon orchestre, mais le premier concert est dans un mois. Est-ce que tu peux le faire ? Je lui dis qui oui. J’ai fais les essais en chaise roulante et, par un gros effort de volonté, j’étais sur pieds pour le concert. C’est ainsi qu’a commencé mon histoire avec Klimax. » « Avec ce groupe, j’ai fréquenté de grands noms de la musique mondiale comme Celia Cruz, Willie Colon… Je me souviens en particulier d’un concert en Hollande vers 97-98 lors d’un festival où participaient également Ray Charles, Winton Marsalis, Earth Wind and Fire, Al Jarreau, Herbie Hancock. Ils m’ont demandé de chanter avec eux pour la descarga finale. Ils m’ont dit : « Chante ce que tu veux.». C’est ainsi que j’ai chanté Guantanamera avec tous ces grands artistes. »
L’Afro-Cuban All Stars
Denis a participé, en tant que choriste à l’aventure des Afro-Cuban All Stars (phto ci-contre) et à celle du Buena Vista Social club qui l’a suivi. Il m’a raconté la manière dont les choses se sont passées. « C’était vers 1998-1999. Juan de Marcos m’a appelé par téléphone. J’étais déjà à la Havane. Il me dit : « On m’a dit beaucoup de bien de toi. Viens au studio de l’Egrem ». C’est là que j’ai rencontré Omara Portuondo, Ibrahim Ferrer, Ruben Gonzales, Ry Cooder. Ry a amené une bouteille de Johnny Walker et m’a dit : « est-ce que tu peux chante une chanson ? » Je lui ai répondu : « je peux chanter ce que tu veux ». Il me dit : « Rentre dans le studio ». Je commence à chanter le premier des thèmes et tous les vieux étaient très enthousiastes. Ils se sont mis à rigoler en disant : « tu es notre père à tous ».Ry m’a regardé et m’a dit : « tous les autres sont vieux et toi tu es jeune, tu es un gosse. Mais tu peux entrer dans le groupe puisque ce sont tes enfants. » C’est ainsi qu’a commencé pour moi toute l’histoire du Buena Vista Social Club, où j’étais chanteur choriste et qui a gagné en 1998 un Latin Grammy avec son CD. Simultanément, je continuais à animer mon propre orchestre Denis y Su Swing. »
Denis y su Swing
Denis a en effet fondé son propre orchestre, Denis y su Swing, en 1998. Il va enregistrer avec lui plusieurs album au cours des quinze années suivantes, comme « Nunca Pescao, siempre Tiburón » au début des années 2000, et Son de Cristal en 2006.
L’orchestre possède un répertoire très large : musique cubaine, internationale; Cha Cha Cha, Mambo, Cumbia, Rap, etc. » Dans les concerts de mon orchestre, comme celui de ce soir au festival d’Hossegor, j’associe deux types de répertoires : d’une part, des « standards » réarrangés par moi, comme les chansons du Buena Vista Social Club, ou encore La Engañadora, Un monton de estrellas, Che commandante, Guantanamera… Et d’autre part, mes propres compositions comme El Bonbon, El Drama, El ventilador de la Havana, Préguntame como Estoy ou Comigo no se puede. »
Le compositeur Denis, en effet, n’est pas seulement chanteur, mais aussi compositeur. Avec un grand succès d’ailleurs, puisque plusieurs de ses thèmes ont été interprétés par des grandes vedettes internationales de la Salsa comme Gilberto Santa Rosa. « Une grande partie du répertoire de mon propre orchestre est composé de mes chansons. J’aime inventer des thèmes que les gens vont chanter et danser. Pendant quelques temps, au début des années 2000, j’ai même arrêté de chanté et je me suis un peu enfermé chez moi pour composer. C’était pour moi comme une lutte intérieure, comme un défi de voir mes œuvres adoptées par le public. Pendant cette période, en 2002, j’ai enregistré un disque de House Music, dont tous les thèmes sont de ma composition et comportant un hommage à Perez Prado, qui a connu un beau succès Puis un jour le musicien Roberto Carcacesse m’a dit : « c’est un crime si tu ne chantes pas, retourne chanter, mon frère. ». J’ai alors recommencé à chanter et, depuis, je ne me suis plus arrêté. »
« Actuellement, je prépare avec mon orchestre un nouveau CD intitulé« Contra el olvido. ». C’est un hommage à des artistes représentatifs de la musique cubaine et latino comme Manu Bravo, Julio Iglesias. Il y aura des chanteurs invités comme El Canario, Antonio Carmona…. «
Si vous apprenez que Denis y su Swing passent à côté de chez vous à l’occasion d’un prochaine tournée en Europe, n’hésitez pas : vous passerez avec eux un moment festif et agréable.
Nb : Certains des photos du groupe Klimax, et du Trabuco de Manolito Simonet figurant dans cet articles ont été reproduites de www.montunocubano.com/, site de référence sur les musiques populaires cubaines. Pour écouter quelques thèmes du concert d’Hossegor le 31 août dernier :
Un monton de Estrellas
https://www.youtube.com/watch?v=pUnqfpj_eTE
Preguntame como estoy
https://www.youtube.com/watch?v=b6ljCBHmYMM
Pour savoir et écouter davantage sur Denis :
https://www.facebook.com/pages/Manuel-Denis-Swing/440734882676433
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