Lorsque l’on explore l’univers de la Salsa sur le Web, la plupart des liens conduisent vers deux continents : principalement les Amériques, et en second lieu, l’Europe. Est-ce à dire que les musiques latines – y compris dans leur version contemporaine, la Salsa – se limiteraient à une relation transatlantique entre ces deux continents, avec en arrière-fond historique un mouvement séculaire d’Ida y Vuelta musical ? C’est bien sur oublier le phénomène de globalisation culturelle, qui, au cours de ces cinquante dernières années, a progressivement étendu le rayonnement des danses latines à l’ensemble de la planète (photo ci-contre : cours de Salsa dans la ville chinoise de Chouqing).
Cette mondialisation de la Salsa s’est cependant déroulée à travers des chronologies et des modalités différentes selon des régions. A la forte antériorité africaine s’oppose par exemple la pénétration beaucoup plus récente de la Salsa en Asie, tandis que l’intérêt largement répandu dans les pays slaves pour les danses latines contraste avec le caractère un peu « hors sol » de leur présence au Maghreb, limitée à une bourgeoisie occidentalisée. Je vous propose d’explorer dans ce chapitre la diversité des histoires et des pratiques salseras dans ces quatre régions du monde.
En Afrique sub-saharienne, l’influence des rythmes caribéens s’est fait sentir très tôt au cours du XXème siècle, à travers un processus d’Ida y Vueltamusical comparable, mutatis mutandis, à celui, beaucoup plus ancien qui a relié l’Espagne au continent sud-américain depuis les débuts de la colonisation du Nouveau monde. Au Congo, au Cameroun, en Afrique de l’ouest, sont en effet apparus dès le milieu du XXème siècle des genres musicaux locaux en partie inspirés des rythmes cubains, comme la Rumba congolaise, le Massoka camerounais, et surtout, à partir des années 1980, la Salsa Mbalax sénégalaise (photo ci-contre : le chanteur congolais Papa Wemba). Juste retour des choses, puisque les musiques cubaines sont, comme on le sait, largement issues d’un processus de métissage entre les folklores hispaniques et africains…
Mais la créativité africaine a aussi eu pour conséquence que ces musiques nouvelles ont rapidement pris, à l’exception notable de la Salsa Mbalax, des formes Sui generis qui les ont fortement éloignées de leur modèle transatlantique originel. En matière de danse, le Soukous, le Makossa et le Ndombolo apparaissent également comme des expressions profondément africaines, même si leurs postures rappellent par moments celles de la Rumba cubaine ou du Reggeaton – quoi d’étonnant à cela d’ailleurs, puisque ces dernières danses sont elles-mêmes plus ou moins directement d’inspiration africaine. Quant à la Salsa dansée elle-même, son influence en Afrique, quoique réelle, reste limitée à un milieu urbain aisé où se côtoient expatriés européens et bourgeoisie locale occidentalisée.
En Extrême-Orient, région historiquement étrangère aux influences caribéennes, le développement de la Salsa constitue un phénomène plus récent, qui a accompagné les vagues successives d’expansion économique permettant l’apparition, dans différents pays d’Asie, de classes moyennes avides d’activités de loisirs. Le Japon a joué à cet égard un rôle précurseur, dès les années 1980 pour la musique – avec l’apparition de quelques groupes locaux comme l’Orquesta de la Luz (photo ci-contre) – puis au cours de la décennie 1990 pour la danse. Il a ensuite été suivi par les « tigres » en émergence (Singapour, Hong-Kong, Corée du Sud, Taïwan) où sont apparus à la fin des années 1990 des scènes salseras de plus en plus actives. Enfin, au XXIème siècle, la fièvre de la Salsa a gagné le reste de l’Asie en développement, et tout particulièrement la Chine, où son développement a accompagné au cours des 20 dernières années l’essor urbain frénétique du pays et la constitution rapide d’une « middle class ». A Shanghai et à Pékin fleurissent ainsi aujourd’hui night-clubs ultramodernes géants et festivals drainant des foules nombreuses. Cette Salsa chinoise est cependant très fortement dominée par une industrie des loisirs de masse où l’authenticité de la culture caribéenne est parfois un peu perdue de vue au profit de formes de danse stéréotypées ou privilégiant le spectaculaire. Quant à la pratique autochtone de la musique « live », elle reste à la fois un peu anecdotique et davantage caractérisée par une démarche de réplication des rythmes caribéens que par l’invention de sonorités propres.
En Europe orientale, le développement de la Salsa a suivi avec quelques années de retard – crise économique des années 1990 oblige – celui de l’Europe de l’ouest puis centrale. Mais, avec l’amélioration de la situation économique en Russie ou en Ukraine et l’apparition d’une assez opulente bourgeoisie urbaine, les lieux de danse ont fleuri au cours des 15 dernières années, de Saint-Pétersbourg à Kiev et Moscou (photo ci-contre : flash mob en Ukraine). Ceux-ci sont animés par une diaspora cubaine significative, quoique moins nombreuse que dans les grandes métropoles ouest-européennes. Un engouement qui, au fond, ne constitue qu’une nouvelle manifestation du goût ancien et profond du public slave pour les rythmes latins….
Enfin, la Salsa a également commencé à pénétrer au cours des 20 dernières années sur les rives sud et est de la Méditerranée, notamment en Israël, en Turquie, en Tunisie et au Maroc. Dans les pays du Maghreb, son influence reste cependant limitée à un noyau de bourgeoisie urbaine occidentalisée, très tournée vers l’influence de la scène de loisirs européenne. Les organisateurs locaux ont également développé, notamment en Tunisie, une activité de festivals internationaux qui cherchent à drainer vers le pays un public et des artistes venus de l’étranger et notamment de d’Europe voisine (photo ci-contre : le festival Cuba in Tunisia). On ne peut cependant se cacher que la situation politique de la région influence très défavorablement ce développement, comme en témoigne l’interruption depuis 2014 du festival tunisien de Tabarka. Quant au public israélien, il paraît assez réceptif aux formes de cultures populaires caribéennes dites « authentiques », comme la Rumba et l’afro-cubain, ce pays abritant par ailleurs quelques bons orchestres de Salsa.
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