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Tango, Rumba, Putes et Voyous : le livre complet

Tango, Rumba, Putes et Voyous : le livre complet

trpvpres1Les relations entre les musiques populaires du Nouveau monde et les milieux marginaux ou délinquants constituent une réalité incontestable, qui a même joué un rôle fondamental dans l’apparition puis le développement de ces formes d’expression. Le Tango est né dans les barrios mal famés de Buenos Aires tandis que la Rumba voyait le jour dans les solares misérables de Matanzas ; le Jazz des années 1930 et la musique cubaine des années 1950 doivent en partie leur épanouissement au mécénat intéressé de la mafia nord-américaine ; l’essor de la Salsa colombienne, dont les bordels de Buenaventura et de Cali ont constitué les berceaux, s’est appuyé sur le soutien des narcotrafiquants (illustration ci-contre : couple de Tango faubourien, fin du XIXème siècle).

trpvpres4Et pourtant, ce lien a été, selon les époques, occulté ou ravalé au rang d’anecdote. Fabrice Hatem a voulu dans ce livre rétablir la réalité des faits en rendant hommage à tous ces bienfaiteurs injustement oubliés des musiques populaires urbaines du Nouveau monde, à savoir les putes et leurs clients, les habitants pauvres des solars et des conventillos, les petits voyous et les maquereaux, les politiciens et les policiers corrompus, enfin les trafiquants de drogue et autres tenanciers de maisons de jeu (illustration ci-contre : maison de plaisir à Buenos Aires, début du XXème siècle).

Plus précisément, il a testé dans cet ouvrage l’hypothèse selon laquelle la plupart des musiques afro-latines du Nouveau monde, au-delà de leurs évidentes différences, auraient suivi des processus de développement structurellement similaires, articulés autour de trois phases principales :

1. Apparition du nouveau genre musical dans des marges urbaines déshéritées et stigmatisées, comme produit d’un phénomène de métissage entre différentes influences ethnoculturelles.

trpvpres22. Diffusion – souvent avec le soutien de milieux criminels impliqués dans les activités nocturnes – vers l’ensemble de leur pays d’origine, où elles s’imposent progressivement comme la culture populaire dominante (photo ci-contre : cabaret Tropicana, La Havane, années 1950).

3.  Enfin, transformation, après quelques crises de croissance ou quelques éclipses, en produits de loisirs globalisés qui conquièrent les pistes de danse du monde entier.

trpvpres3Fabrice a  testé cette intuition sur neuf genres musicaux du Nouveau monde : Le Tango,  le Jazz, la Rumba, la Samba, la Salsa Brava, La Salsa colombienne, les Narcocorridos, le Hip Hop et le Reggaetón. Les résultats obtenus valident en grande partie son hypothèse de départ, même si chacun de ces genres connait aussi une évolution spécifique lié aux conditions particulière de son apparition et de son développement : poids respectif des différentes influences ethno-culturelles, topographie urbaine, géographie et histoire des pays concernés, stade d’évolution actuellement atteint par le genre musical étudié… (photo ci-contre : un club de Salsa « branché » de Bogota aujourd’hui).

Nous vous proposons donc de partir maintenant avec lui, dans cet ouvrage, intitulé « Tango, Rumba, Putes et Voyous », à la découverte des similitudes profondes, qui, au-delà de leurs différences apparentes, unissent ces différents membres de la famille, constamment élargie et recomposée,  des musiques afro-latines.

Pour consulter cet ouvrage dans son intégralité, cliquez sur le lien suivant : livre

Havana nocturne : comment la pègre nord-américaine a conquis Cuba

Havana nocturne : comment la pègre nord-américaine a conquis Cuba

Havana nocturne

Dès les années 1930, la mafia nord-américaine caressait le rêve d’un Eldorado – un pays dont les autorités lui seraient entièrement acquises et laisseraient se développer librement toutes ses activités illicites aux Etats-Unis : jeu, vie nocturne prostitution et alcool. Cuba figurait déjà alors en bonne place dans la liste limitée des candidats potentiels. Un moment freiné par la terrible répression anti-mafieuse de la fin des années 1930 puis par la guerre,  ce projet put commencer à se réaliser à partir de 1946.

Avec la bienveillance d’autorités cubaines corrompues, au premier rang desquelles on trouve bien sur le dictateur Fulgencio Batista, revenu au pouvoir en 1952, les mobsters américains, sous la direction de Meyer Lansky, transformèrent alors la Havane en un vaste lieu de plaisirs de toutes sortes pour touristes nord-américains à la recherche de sensations fortes. Night-clubs, hôtels-casino et maisons closes fleurirent alors dans toute la ville – jusqu’à ce que Fidel Castro et ses barbudos ne sifflent en 1959 la fin de la récréation.   

S’il on représente habituellement cette ère prérévolutionnaire sous les traits les plus déplaisants – oppression politique, inégalités sociales, corruption, abaissement moral, dépendance vis-à-vis de l’étranger – on ne peut nier qu’elle eut aussi certains aspects plus positifs : d’une part, une réelle expansion économique alimentée par le tourisme de masse ; et, d’autre part, une période d’extraordinaire floraison artistique liée aux besoins de l’industrie des loisirs nocturnes. De grands night-clubs comme le Sans Souci ou le Tropicana servirent alors de cadre à de magnifiques revues de music-hall, tandis que les orchestres de Benny Moré et de Damaso Perez Prado inventèrent de nouveaux styles musicaux comme le Mambo ou le Cha Cha Cha, transformant la Havane en capitale contestée de la musique tropicale.

C’est cette histoire en forme de paradoxe que nous conte l’excellent ouvrage de T.J. English. Des sources d’une grande précision, une assez riche iconographie, un style fluide et vivant font de ce livre un précieux document de référence sur la capitale cubaine des années 1950, ses mobsters et ses lieux de divertissement. Il regorge également d’anecdotes et de scènes distrayantes : Sinatra en porteur de valises pour le boss mafieux Lucky Lucciano, Meyer Lansky amoureux d’une belle cubaine, Batista savoureusement campé en dictateur populiste et corrompu, le cabaret Tropicana et ses nuits fabuleuses, plus un règlement de comptes bien sanglant entre gangsters …

Bref, le livre peut se lire aussi bien comme une très sérieuse étude historique que comme un projet de scénario pour film noir. Le fait que l’intrigue (si l’on peut dire) se déroule simultanément sur deux tableaux (les progrès de la révolution castriste et la mise en place du système mafieux à la Havane) ajoute encore au rythme haletant de l’ouvrage qui s’achève bien sûr par le crépuscule des dieux de la pègre et l’arrivée des barbudos à la Havane au matin du 1er janvier 1959.

 Fabrice Hatem

English, T.J., 2007, Havana Nocturne, éd Harper, 396 pages

Biografía de un cimarrón: une remontée aux sources de l’identité cubaine

Biografía de un cimarrón: une remontée aux sources de l’identité cubaine

 

miguel barnetAu début des années 1960, l’écrivain et anthropologue cubain Miguel Barnet fit la connaissance d’Esteban Montejo, un noir alors très âgé qui, esclave de naissance à la fin du XIXème siècle, s’était enfui très jeune, devenant ainsi un « nègre cimarrón », avant de participer à la guerre d’indépendance dans les rangs des troupes mambistes. De longs entretiens aboutirent à la rédaction de cette Biographie d’un Cimarrón, qui constitue à plusieurs titres un document exceptionnel : parce qu’il fait revivre à travers un témoignage de première main le vécu quotidien des noirs pauvres des campagnes au cours de cette période-clé de l’histoire de l’île ; parce qu’il nous fait ainsi rentrer au cœur même du processus de formation d’une part essentiel de l’identité cubaine ; enfin, tout simplement, parce que c’est un texte d’une grande valeur poétique et littéraire.
 
Le livre se divise en trois parties : la vie au temps de l’esclavage, dans les baraques des plantations ainsi que dans les forêts montagneuses où se cachaient les noirs fugitifs ; l’abolition de l’esclavage et la vie des noirs, désormais « libres » mais devenus prolétaires agricoles, dans les grandes exploitations nommées « ingenios » ; enfin, la guerre d’indépendance, avec ses batailles sanglantes, ses soldats courageux et ses généraux illustres. 
 
Le livre abonde d’informations d’une valeur inestimable sur la vie quotidienne des noirs de l’époque dans ses différents aspects : travail, astuces pour améliorer l’ordinaire, distractions, cuisine, objets usuels, relation amoureuses, religion, magie, croyances…. Et tout cela – merveille !! – non pas corseté dans le langage théorique de l’anthropologue, mais raconté à la première personne, comme  autant de souvenirs de jeunesse, dans un style direct d’une grande fraîcheur, parfois délicieusement décousu au gré de la mémoire vagabonde du narrateur…
 
Les passages consacrés à la danse et à la musique, qui ont particulièrement retenu mon attention, donnent un bon échantillon de la richesse de cet ouvrage : évocation des fêtes dominicales dans les barracones au temps de l’esclavage, avec leurs tambours et leurs danses de Yuka, puis des tavernes où, après l’abolition de l’esclavage, les noirs allaient danser, parfois toute la nuit, au son des chants de Rumba et des tumbaderas ; souvenirs des petits spectacles ambulants, comme les petits cirques avec leurs clowns noirs vêtus en « diablitos », ou encore les orchestres itinérants interprétant des danzas et des danzones pour animer les fêtes de village… Et même si les noirs et les blancs se réunissaient dans des lieux différents pour danser, ils connaissaient bien le folklore des autres communautés !!  Esteban Moreno se souvient par exemple avec émotion des  danses légères pratiquées par les blancs du voisinage, comme la Jota, la Caringa, le Zapateo, qu’il  préférait d’ailleurs aux danses africaines, trop lourdes à son goût… Une manière merveilleusement concrète d’aborder, sans le désigner explicitement, le thème de la « transculturation », si fondamental dans la formation de l’identité culturelle cubaine…

Miguel Barnet a réalisé en 1983 une sorte de « pendant » européen à la Biografía de un cimarrón: Gallego, qui décrit l’histoire d’un immigrant espagnol à Cuba au début du XXème siècle. Ce livre n’a cependant pas tout à fait le même pouvoir de fascination que la Biografía de un cimarrón, qui a connu depuis sa parution en 1966, un immense succès, avec plus de 70 rééditions et des traductions dans une dizaine de langues étrangères. Cet ouvrage serait à recommander sans réserve à tous les amoureux de Cuba si il ne présentait une grave difficulté de lecture liée d’ailleurs à sa qualité même : Miguel Barnet a en effet respecté le vocabulaire très particulier du héros de son livre, truffé d’expressions idiomatiques et de termes liés aux spécificités de la vie rurale de l’époque. La lecture en est donc rendue difficile, malgré l’excellent lexique figurant à la fin du livre, pour un hispanisant de niveau moyen comme moi, dont les connaissances se limitent au vocabulaire usuel du début du XXIème siècle. Malgré cela, plongez-vous tout de même, si possible en espagnol (il existe également des traductions françaises) dans ce voyage exceptionnel vers le passé !!! 

Fabrice Hatem

Biografía de un cimarrón, de Miguel Barnet, ed. Letras Cubanas, 1966, 230 pages

Rumba : Dance and Social Change in Contemporary Cuba

Rumba : Dance and Social Change in Contemporary Cuba

 

ImageYvonne Daniel, anthropologue afro-américaine spécialiste de la danse, s’est immergée, au début des années 1990, dans le milieu de la Rumba cubaine. Elle en a tiré un témoignage à la fois très vivant et de grand intérêt scientifique sur celle-ci, associant rétrospective historique et sociologie des pratiques contemporaines. 

La Rumba, produit d’un processus de métissage culturel

Dans la première partie de son livre, l’auteur propose un panorama historique du processus de transculturation ayant donné naissance au folklore cubain en général, et à la Rumba en particulier. Ses analyses valent moins par l’originalité des thèses et des sources (largement inspirées des travaux d’autres spécialistes, comme Argeliès León), que par le caractère particulièrement clair, synthétique et pédagogique de leur exposé.

Une approche générale de la transculturation

L’auteur propose tout d’abord une vaste fresque de la formation de la culture populaire cubaine, issue d’un processus multiséculaire de métissage entre des influences européennes très anciennes et des apports africains plus récents.

Au cours de la première phase de son histoire coloniale, du XVIème siècle au début du XVIIème, Cuba  a d’abord été peuplée par une population d’origine essentiellement espagnole, regroupée le long des côtes, et pratiquant le petit élevage et les cultures vivrières. Le folklore cubain de cette époque aurait donc été dominé par les traditions rurales hispano-andalouses, avec leurs danses collectives (Chaconas, Zarabandas,  Zapateos) et  leurs rondes infantiles.

C’est à partir du XVIIème et surtout du XVIIIème siècle, avec le développement des plantations de canne à sucre et la mise en place de la traite des esclaves, que se produit l’arrivée massive des populations noires et avec elles des influences culturelles africaines : place centrale de la polyrythmie, forte association entre musique et danse, schémas musicaux ouverts propices à l’improvisation, osmose assez poussée entre rites religieux et divertissements profanes, pratique assidue des fêtes collectives au son des tambours – qui firent d’ailleurs l’objet d’interdictions ou de restrictions récurrentes de la part des autorités par peur de possibles révoltes d’esclaves.

L’auteur met en lumière à cette occasion la diversité des influences africaines présentes à Cuba, en y distinguant quatre grandes catégories ou « cycles » : Carabali (venant de la région de Calabar, au nord-est de l’actuel Nigéria, avec notamment les rites Abakuá), Arara (originaires du royaume de Dahomey, dans l’actuel Bénin, avec les danses Foddun…), Yoruba (venus du sud-ouest du Nigéria, avec les danses des Orishas…), Bantou (venant du Congo et de l’Angola, avec le Palo et les Congas). Le regroupement des esclaves selon leurs origines ethniques dans des sociétés d’aide mutuelle appelées cabildos joua un rôle important dans la préservation de ces héritages culturels, même si les mélanges entre populations brouillèrent progressivement les distinctions entre ethnies.

A ces quatre sources anciennes, s’ajoutent, notamment dans la région orientale du pays, des influences haïtiennes plus récentes, appartenant à deux groupes bien distincts : 1) le folklore franco-haïtien, apporté au début du XIXème siècle par les colons français blancs et leurs esclaves domestiques chassés par la révolution de Toussaint Louverture (Tumba Francesa, issue de la contredanse) ; et 2) l’afro-haïtien lié aux vagues d’immigrations successives de populations haïtiennes noires vers Cuba aux XIXème et XXème siècle (Mani, Vaudou, Gaga, Merengue, etc.)

Ces différentes influences se sont progressivement entremêlées dans le cadre d’un processus de transculturation, équivalent musical des croisements raciaux qui donnèrent simultanément naissance à une population mulâtre. Les fêtes de rue, comme celles des « Dias de los Reyes », ont joué dans ce phénomène un rôle important, avec  leurs défilés de Cabildos et leurs compétitions de danse.

Des danses proprement nationales apparaissent également à partir surtout de la seconde moitié du XIXème siècle, comme la Danza, issue de la contredanse européenne, mais intégrant également une influence africaine (avec l’acquisition d’une démarche plus chaloupée et sensuelle). Cette Danza devint ensuite le Danzon, parfois initialement appelé « Tango cubain », et d’ailleurs méprisé au départ pour ses connotations africaines, comme le montre cet extrait d’un article de journal de la fin du XIXème siècle, cité dans l’ouvrage : « Depuis quelques temps, nous avons lu votre prétendue défense de la Danza et du Danzon que l’on appelle cubain, et qui ne sont que des dégénérescences du Tango africain ». Quant au Son, originaire des régions rurales de l’Oriente, il nait également de la convergence d’influences européennes et africaines. Ce processus de fertilisation croisée est également alimenté par la mixité ethnique des orchestres de salon, intégrant de nombreux musiciens d’origine africaine qui y apportent leur sens de la syncope et de l’improvisation.

Le cas de la Rumba

Yvonne Daniel insiste tout particulièrement sur le caractère syncrétique de la Rumba ou plutôt des différents types de Rumba, associant, en proportions variables selon les cas, des origines rurales et urbaines, des influences africaines et européennes…

Les lointains antécédents ruraux du style « Guaguanco », par exemple, sont mis en lumière par sa ressemblance avec des danses traditionnelles du Congo ou de l’Angola appelées Yuka et Makuta, souvent pratiquées par les esclaves dans les baracones des plantations, où vivait encore vers 1850,  l’écrasante majorité de la population noire du pays.  Quant au style Colombia,  danse masculine en solo nettement influencée par le folklore Carabali (mâtiné d’un soupçon de Flamenco),  il serait entièrement d’origine rurale, puisque né à la fin du XIXème siècle dans les villages de la région de Matanzas, à proximité des exploitations de canne à sucre où travaillaient les anciens esclaves noirs, devenus après l’abolition ouvriers agricoles.

La Rumba possède également des racines urbaines assez anciennes, à la fois africaines et européennes, remontant par exemple aux danses des Negros de Curros (noirs libres des ports, à la réputation de voyous machos et bravaches), au chants de travail des artisans, à l’influence du Flamenco et à l’existence des groupes choraux dits « coros de clave », nés au milieu du XIXème siècle.

Ce n’est cependant qu’à la fin du XIXème que ces différentes influences vont confluer pour former la Rumba. A l’époque de l’abolition de l’esclavage, beaucoup d’anciens esclaves noirs viennent en effet s’entasser des faubourgs pauvres des ports de Matanzas et de La Havane, où, en compagnie de quelques blancs et mulâtres aussi déshérités qu’eux,  ils dansent et jouent de la musique dans la cour collective de leurs « solars » insalubres pour se délasser d’une vie de misère, donnant ainsi naissance aux styles de Rumba urbaine dits « Guaguanco » et « Yambu ».

L’auteur nous rappelle à cette occasion qu’il existe bien d’autres styles de Rumba, moins connus que les précédents, comme par exemple : la Colombia de couple pratiquées à Portales ou de Cardenas ; la Jiribilla, au rythme particulièrement rapide ; ou encore les Rumbas anciennes, dites « De tiempo de Espana », qui racontent des petites histoires sous forme de pantomimes, comme Mama Buela, La muñeca, Lala No Sabe Hacer na’ »…

Le livre se poursuit par une présentation de l’instrumentation, de la structure musicale et des thèmes poétiques de la Rumba. Musique polyrythmique par essence, celle-ci possède une instrumentation composée de trois tambours – salidor ou hembra (grave), tres golpes ou macho (intermédiaire) quinto (aigu), auxquels s’ajoutent différents instruments de percussion (clave, chekerés, cascaras, madrugas, etc.).

La structure standard d’une œuvre comprend les parties suivantes : Diana (introduction vocale en solo) ; Inspiración (où le chœur interprète un texte en général écrit sous forme de decimas, c’est- à-dire de strophes de dix vers octosyllabiques) ; Estrofa (comprenant un solo improvisé) ; Estribillo (dialogue en partie improvisé entre chœur et soliste, à l’occasion duquel interviennent les danseurs) ; enfin, conclusion (fin) menée par les tambours.

Quant aux textes, ils parlent de la vie quotidienne, des personnages typiques du faubourg, d’amour heureux ou trahi, et font parfois allusion à l’actualité politique et sociale. Parmi les exemples de Rumbas célèbres, on peut citer : Yambu matancero, Leguleya no, A malanga, Guaguanco Matancero,  Yo cantare para ti nina, I bring a story to the people, El Marino, Little chinese man, Xiomara,..

La Rumba au XXème siècle : influences internationales croisées

On sait peu de choses sur les 50 premières années d’existence de la Rumba, qui est restée jusque vers les années 1930 un genre marginal, pratiqué par un milieu stigmatisé. Ceci explique, entre autres, la rareté des enregistrements de Rumba cubaine jusque vers 1940. Puis s’est mis en place un processus de modernisation et d’expansion internationale de la Rumba, largement alimenté par des interactions culturelles entre Cuba et les Etats-Unis, qu’Yvonne Daniel décrit de manière détaillé et approfondie.

Tout d’abord, la Rumba a commencé à s’exporter vers les Etats-Unis à partir des années 1930, sous l’influence de l’industrie nord-américaine des loisirs (cinéma, orchestres, écoles de danse…). Celle-ci s’est en effet à cette époque intéressée au folklore cubain, mais à travers le prisme déformant d’un « exotisme » outrancier et caricatural, gommant sa diversité et sa richesse pour la transformer en un produit de loisir galvaudé et appauvri destiné au grand public. Ce processus a abouti, entre autres, à l’apparition d’une danse de salon très codifiée appelée « Rhumba » et qui n’avait à vrai dire plus grand-chose à voir avec la Rumba cubaine originelle.

Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, la Rumba et plus généralement la danse afro-cubaine ont également influencé la danse contemporaine,à travers par exemple les recherches de Martha Graham, et plus tard Alvyn Ailey. Symétriquement, la danse contemporaine américaine a également été diffusée à Cuba, par l’intermédiaire notamment d’artistes tels que José Limon, Elfrida Mahler et Lorna Burdsall. Quant aux chorégraphes cubains Ramiro Guerra et Eduardo Rivera, ils sont à l’origine d’une approche proprement cubaine de la danse contemporaine, reposant sur une synthèse entre la rythmicité de l’afro-cubain et la légèreté de la danse classique.

Simultanément, la Rumba, cette fois sous sa forme de musique de loisirs populaire, a poursuivi son  évolution, avec par exemple l’apparition au cours des années 1980 d’un style de danse dit « Batarumba » intégrant des éléments venus du Casino, et qui semble avoir préfiguré l’apparition du style dit « Salsa Suelta » associant Salsa et Afro-Cubain. De nouveaux instruments de percussion, comme les congas ou les tambours congolais (caja, cachimbo), ont également été introduits dans certaine orchestres de Rumba.

Pratique de la Rumba à Cuba au début des années 1990

La seconde partie du livre est constituée par une exploration sociologique du milieu des Rumberos cubains au début des années 1990. Son intérêt tient notamment au fait que l’auteur, en bonne anthropologue, s’est elle-même longuement immergée dans cet univers pour recueillir le matériau de son ouvrage. Mais elle en décrit tout d’abord le cadre institutionnel, à travers une analyse des grandes orientations de la politique culturelle castriste et de la manière dont celle-ci a influencé le devenir de la Rumba.

Rumba  et politique culturelle dans le contexte post-révolutionnaire

La Rumba, en tant que danse populaire était restée jusque dans les années 1960  cantonnée dans les milieux marginaux afro-descendants. Elle était alors assez peu diffusée (autrement que sous la forme d’une danse de cabaret assez largement dénaturée) auprès du grand public, comme en témoigne le faible nombre d’enregistrements musicaux et de films où elle est présente jusqu’à la fin des années 1950. Un changement assez radical se produit après la Révolution castriste, les nouvelles autorités politiques cherchant à la promouvoir, ainsi que le folklore afro-cubain, en tant qu’expression culturelle de la partie la plus opprimée et stigmatisée de la population… tout en en contrôlant avec vigilance les manifestations spontanées. Il en est résulté un mouvement d’institutionnalisation, illustré par la création de plusieurs compagnies-écoles (dont la plus célèbre, le Conjunto Folklorico Nacional ou CFN, fut fondé en 1962..), l’instauration d’un statut des danseurs professionnels de folklore, la multiplication des spectacles de danse populaire traditionnelle…

La Rumba a ainsi joué un rôle important en tant qu’instrument de la politique culturelle du Cuba révolutionnaire, visant à la promotion du folklore populaire et célébration de l’identité nationale. Aujourd’hui, son influence est présente dans le répertoire des grandes compagnies de danse cubaines, comme le Cuban National Ballet ou le Cuban National Contemporary Dance Company – sans parler bien sur des compagnies folkloriques comme le Conjunto Folklorico Nacional, dont elle constitue le cœur-même du répertoire. Cette institutionnalisation a donné au genre une force nouvelle et un rayonnement accru sans d’ailleurs – miracle !! – qu’il ne perdre trop de sa vitalité spontanée au sein des milieux populaires.

Deux autres facteurs ont également contribué à alimenter le dynamisme de la Rumba cubaine et à accroître son influence sociale et artistique dans le pays comme à l’étranger. D’une part, la faible influence du show-business américain dans le Cuba post-révolutionnaire a permis de préserver la vitalité de la culture populaire autochtone, alors que dans d’autres pays, celle-ci était marginalisée par l’influence des rythmes venus des Etats-Unis, comme ce fut par exemple le cas du Tango argentin face au Rock’n Roll. D’autre part, le développement d’une mode internationale des danses cubaines ainsi que d’un important tourisme culturel à Cuba à partir de la fin des années 1980 a contribué à transformer la Rumba en un « produit de loisir » commercialisable, à Cuba même ou à l’étranger, sous forme de cours et de spectacles de danse.

La pratique sociale de la Rumba aujourd’hui

Ces évolutions auraient induit, selon Yvonne Daniel, trois conséquences importantes pour la culture rumbera cubaine et ses acteurs. Tout d’abord, la transformation de la Rumba et de l’afro-cubain en objet culturel légitime et en produit de promotion touristique en fait désormais un réel levier de promotion sociale pour ses interprètes (prestige, revenus financiers…) ; ensuite cette évolution peut contribuer à un enrichissement esthétique de la Rumba, liée entre autres à son ouverture accrue aux échanges internationaux, à la recherche de nouvelles synthèses stylistiques, etc. Enfin, la Rumba est de plus en plus largement diffusée, au-delà de son milieu d’origine dans la société cubaine d‘aujourd’hui, la transformant plus que jamais, en expression de l’identité nationale du pays et en élargissant l’influence des cercles  rumberos.

La partie la plus originale de l’ouvrage est justement constituée par la description de la vie quotidienne de ces milieux rumberos d’aujourd’hui. L’un des principaux axes de recherche de l’auteur est lié à l’exploration des différences d’atmosphère entre les activités de Rumba dites institutionnelles et les pratiques spontanées : d’un côté, des spectacles bien organisés dans les lieux prévus à cet effet (comme par exemple les Sabatos de la Rumba du CFN) ; de l’autre, et fêtes de quartiers plus ou moins improvisées, au déroulement plus libre et échevelé…

Ce livre très complet offre au donc un intéressant équilibre entre l’approche historique, la description stylistique de la Rumba et l’analyse sociologique de la vie quotidienne de ses adeptes – amateurs ou professionnels – au début des années 1990. La valeur de ce témoignage tient largement au fait qu’il s’appuie sur une expérience directement vécue par l’auteur, comme en témoignent les nombreuses descriptions d’événements festifs, spontanés ou institutionnels auxquels Yvonne Daniel a pu assister. Ma principale réserve tient au caractère relativement ancien de cet ouvrage, qui ne lui permet pas, faute d’une mise à jour, de rendre compte des profondes évolutions intervenues au cours des 25 dernières années, en liaison notamment avec le rayonnement international croissant de la Rumba et de la culture afro-cubaine.

Fabrice Hatem

Yvonne Daniel, Rumba, Dance and Social change in Contemporary Cuba, Indiana University Press, 196 pages, 1995

Del Canto y el Tiempo : une histoire de la musique populaire cubaine

Del Canto y el Tiempo : une histoire de la musique populaire cubaine

ImageArgeliers León (1918-1991), fut et demeure l’un des plus grands spécialistes des musiques populaires cubaines. Rédigé en 1984, quelques années avant sa mort, Del Canto y el Tiempo peut être considéré comme le couronnement de son oeuvre, où il expose en un peu plus de 300 pages le résultat d’une vie de recherche sur le sujet. Dans la version que j’ai eue sous les mains (en l’occurrence une traduction en italien), l’ouvrage se compose de deux tomes, dont le premier est plutôt consacré aux musiques traditionnelles et le second aux développements plus récents, propres au XXème siècle (Mambo, Nueva trova, musique et cinéma, etc.).
Le premier volume, qui fait l’objet de cette fiche bibliographique, est lui-même divisé en six chapitres qui chacun font référence à un genre particulier de la musique folklorique cubaine : Yoruba, Bantú, Abakuá, Guajira, Son, Rumba. Ceux-ci sont précédés d’une passionnante introduction où l’auteur, suivant visiblement une méthode inspirée du marxisme, dresse un impressionnant panorama historique de l’évolution de la musique populaire de son pays depuis le début de la colonisation espagnole, mettant en lumière ses liens avec l’évolution des modes de production, des formations sociales, et de l’occupation de l’espace. Il y décortique notamment le lent processus par lequel le folklore cubain s’est progressivement enrichi par l’intégration d’éléments culturels allogènes liés aux apports successifs de populations d’origines diverses. Il montre par exemple que le développement de la culture afro-cubaine, liée à l’existence d’une économie de plantation esclavagiste, ne s’est pas faite dès les débuts de la colonisation espagnole, mais à partir du XVIIème et surtout du XVIIème siècle, lorsque s’est largement répandue la culture de la canne à sucre nécessitant la présence d’une importante main d’œuvre constituée en l’occurrence d’esclaves noirs.

Deux chapitres, respectivement consacrés au Son et à la Rumba, ont plus particulièrement retenu mon attention dans le contexte de la préparation de mon prochain livre sur les liens entre cultures populaires d’Amérique latine et marginalité sociale. Concernant tout d’abord le Son, Argeliers León montre comment l’apparition de cette musique à la fin du XIXème siècle – après d’ailleurs une très longue gestation étalée sur plusieurs centaines d’années – est liée au déplacement, à l’époque des guerres d’indépendance, des populations rurales vers l’arrière-pays semi-montagneux de l’Oriente et à sa concentration dans des gros bourgs.

Il montre également comment cette expression musicale, qui trouve des racines très anciennes dans la romance espagnole accompagnée par les cordes pincées (guitare, devenue le tres à Cuba), a été progressivement métissée d’influences africaines – polyrythmie, alternance chœur-soliste, improvisation – pour en faire le genre syncrétique que nous connaissons aujourd’hui. Une évolution qui n’est d’ailleurs pas propre à l’Oriente cubain, mais s’est déroulée simultanément dans d’autres lieux des Caraïbes, pour donner naissance des musiques cousines, appartenant à ce que l’auteur désigne par le terme de « complexe du son » : Tamborrito à Panama, Porro en Colombie, Plena à Porto-Rico, Merengue à Haïti, Sucu-Sucu dans l’île des Pins, etc.

Le Son s’est ensuite transformé au rythme des évolutions sociales et de la géographie humaine du pays, abandonnant par exemple certains instruments traditionnels d’origine rurale, comme la Marimbula africaine ou la Botija espagnole, pour intégrer le Bongo puis, dans les années 1920, la trompette et la contrebasse caractéristiques des orchestres de Son dit « urbain ».

Le chapitre consacré à Rumba décrit également le phénomène de syncrétisme entre une racine africaine dominante (sécularisation de polyrythmies d’origine religieuse) et les apports européens (influence du Flamenco..) qui va donner naissance à la Rumba. Mais celle-ci, est avant tout, selon Argeliers León, une création « sui generis » spécifique au pays, même si elle s’est construite à partir d’emprunts à des folklores allogènes. Avant même de désigner un genre musical particulier, le terme Rumba évoque en effet, dans le parler courant de l’île, l’idée de fête collective. Et c’est pour « faire la fête » que populations d’origines diverses qui se côtoyaient dans les barracones des plantations esclavagistes puis dans les ingenios post-esclavagistes, enfin dans les faubourgs pauvres des ports de Matanzas ou la Havane, ont mis en commun leurs différents patrimoines folklorique pour créer ce genre propre à Cuba que l’on appelle aujourd’hui la Rumba.

Mais faut-il parler de LA rumba ou DES rumbas ? L’auteur, en effet, insiste sur les origines distinctes des différentes formes de Rumba : D’un côté, la Colombia, d’origine rurale, dansée par les travailleurs des champs au moment par exemple de la récolte de canne à sucre, la zafra ; de l‘autre, le Yambu et de Guaguanco, nés dans des « Solar » miteux des ports où s’entassait un prolétariat urbain métissé. Des styles musicaux eux-mêmes issues d’une assez longue lignée d’expressions urbaines : coros de Clave et de Guaguanco, chants de travail des artisans, enfin Rumba dites « del Tiempo de España » – petites pantomimes amusantes et coquines datant de la seconde moitié du XIX siècle -.

Cet ouvrage de grande qualité, enrichi par une riche iconographie, fait comprendre sans dogmatisme comment les évolutions sociales et économiques de Cuba se sont reflétées dans la culture populaire du pays. Mais, c’est aussi un livre de musicologie, enrichi par de nombreuses reproduction de partitions, et qui décrit de manière très détaillée les instruments et les structures des différents genres dont est constitué le folklore cubain. On peut de ce fait le considérer comme l’un des ouvrages les plus exhaustifs et les plus fouillés jamais publié sur ce sujet.

Fabrice Hatem

Argeliers León, Del Canto y el Tiempo, Editorial Letras Cubanas, 1984, 327 pages

Rumba Quinto: pour découvrir les rythmes des tambours de Rumba

Rumba Quinto: pour découvrir les rythmes des tambours de Rumba

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A vrai dire, ce livre n’aurait sans doute pas dû figurer dans ma recension bibliographique sur l’histoire des musiques populaires cubaines. Il s’agit en effet davantage d’un ouvrage de technique musicale destiné aux percussionnistes désireux de se perfectionner dans l’art du quinto, ce tambour aigu chargé dans la Rumba de la partie improvisée, et dialoguant – notamment dans le style appelé « Colombia » – avec le danseur.

Ses sept chapitres sont donc conçus comme autant de cours techniques concernant les différents rythmes du quinto (fondamental, secondaire, à temps et contretemps, phrases complexes, etc.), systématiquement illustrés par des exemples d’écriture musicale et complétés par de nombreux exercices. Une lecture pour l’instant superficielle a achevé de me convaincre, s’il en était encore besoin, de la complexité de cet instrument, en attendant de peut-être décider un jour de l’apprendre. Car comme me l’avait dit un jour le Rumbero Johnson Mayet, « Un bon Rumbero doit savoir danser la Rumba, jouer la Rumba et chanter la Rumba ».

Le livre offre cependant pour le simple curieux deux grands intérêts. Le premier est la très riche discographie /vidéographie adjointe en annexe, qui résume en quelques pages l’essentiel de ce qu’il faut voir et entendre pour mieux se familiariser avec la Rumba. Le second est l’introduction du livre, où l’auteur revient sur quelques points saillants de l’histoire de la Rumba, dans des pages, qui, sans être aussi exhaustives et structurées que celles d’Argeliers Leon dans son livre de référence Del Canto y el Tiempo, les complètent cependant sur quelques points importants, comme par exemple :

1) l’instrumentation de la Rumba et son évolution depuis les instruments de fortune originels jusqu’à sa structure actuelle : trois tambours (Tumbabora, Salidor, et Quinto) complétés par des percussions mineures comme les chekeré ou les clave ;

2) la description des  différents styles d’interprétation du quinto (« Matanzas », « La Havane ») ;

3) enfin, quelques informations intéressantes sur la Rumba moderne, comme par exemple l’histoire du groupe Les Muñequitos de Matanzas formé en 1952, ou celle des premiers enregistrements de Rumba dans les années 1940.

Au total, ce livre d’enseignement technique destiné aux musiciens de Quinto donne furieusement envie aux simples aficionados de se lancer dans l’apprentissage de cet instrument…

Fabrice Hatem

David Peñalosa, Rumba Quinto, éd. Bembe Books, 204 pages, 2010