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Six piliers de la musique populaire cubaine

Six piliers de la musique populaire cubaine

matamoros

Son, Rumba, Trova, Danzon, Punto, Guajira : Il est parfois difficile au néophyte de s’orienter dans l’univers, foisonnant comme la forêt vierge, de la musique cubaine. Notre rédacteur Fabrice Hatem vous propose dans ce texte un guide introductif à plusieurs genres majeurs, basé sur les entretiens réalisés au cours de ses séjours à Cuba avec la chanteuse et musicologue Santiaguera Yaima.

Pour consulter cet article, cliquez sur le lien suivant : Yaima

matamoros

Nb : cet article ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’analyse des dynamiques d’interaction complexes qui ont relié au cours de l’histoire les différents genres de la musique cubaine. En particulier, il n’aborde pas le complexe afro-cubain et n’évoque que de manière marginale la salsa et surtout la timba. Sur ce dernier point, on pourra consulter d’autres articles du site Fiestacubana, notamment dans la section « découvrir ».

Par ailleurs, la classification en six catégories proposée dans l’article, utile pour permettre une présentation didactique des différents genres concernés, ne prétend évidemment pas fournir une clé d’analyse exclusive et définitive de la musique cubaine. Elle permet simplement de présenter, dans un ordre quelque peu arbitraire, quelques-uns des genres les plus importants de celle-ci.

Les orchestres de Son à Santiago de Cuba : un recensement commenté

Les orchestres de Son à Santiago de Cuba : un recensement commenté

bisset 2

Lors de mes visites à Santiago de Cuba, j’ai été frappé par la vitalité des orchestres de musique traditionnelle dans cette ville. Los Guanches, Las Perlas del Son, Morenas Son, Septeto de la Trova, Bisset Son : autant de formations de grande qualité qui peinent parfois à se faire connaître en dehors de Cuba et même de Santiago. Et pourtant, quelle source extraordinaire, peut-être unique, de talents, dont chacun mériterait qu’on lui rende longuement hommage, voit-on surgir là, loin des grandes scènes internationales !!!

Il m’a donc semblé que mon « devoir » minimal de voyageur de passage amoureux de cette musique consistait à faire un peu mieux connaître ces artistes de talent. J’ai donc entrepris de réaliser un petit répertoire commenté (et illustré musicalement) des orchestres de Son à Santiago.

Je vous propose de découvrir ces musiciens en cliquant sur le lien suivant : Orchestres de Son à Santiago

La tumba francesa, c’est joli

La tumba francesa, c’est joli

Santiago de Cuba, Vendredi 8 juillet 2011

ImageL’une des caractéristiques les plus attachantes de Cuba est le mystérieux génie de la conservation dont font preuve les habitants de l’île. Ici, tout au long de l’histoire du pays, beaucoup d’objets ou de traits culturels ont été apportés de l’extérieur : les religions, les danses folkloriques, les voitures, les vêtements… Or, il y a parfois bien longtemps qu’ils ont disparu de l’endroit même dont ils sont originaires. A Cuba, au contraire, ils restent bienvivants, participant au quotidien des habitants d’aujourd’hui. Et c’est leur coexistence, leur étrange et fascinant métissage, leur bric-a-brac bigarré qui crée cette atmosphère si particulière à notre île aimée, celle d’une sorte de grand conservatoire vivant – et vibrant – à ciel ouvert.

 

ImageVous voulez rouler en voiture américaine des années 1950 ? Ou peut-être préférez-vous une Lada soviétique des années 1960 ? Vous voulez assister à un spectacle de danses des Orishas venues d’Afrique, ou bien un menuet français du XVIIIème siècle ? Vous voulez faire l’expérience du marché noir dans une économie communiste ? N’allez pas aux Etats-Unis, ni en Russie, ni au Nigéria, ni en Chine populaire, ni en France. Vous n’y trouverez plus rien, ou presque, de tout cela. Par contre, si vous allez à Cuba, il vous sera très facile de héler une Buick décapotable modèle 1953 sur le Malecon pour aller entendre des tambours sacrés Yoruba. Ou bien de négocier avec le chauffeur d’une vieille Lada brinquebalante le prix d’une course clandestine pour aller voir danser le menuet au son des rythmes africains, comme je l’ai fait hier soir sur la place Cespedes de Santiago de Cuba.

ImageCar cette extraordinaire capacité cubaine à préserver, à métisser et à réinventer a aussi quelque chose à voir avec la France. A la fin du XVIIème siècle, comme vous le savez sans doute, les colons français de Haïti, chassés par les révoltes noires, trouvèrent refuge dans l’Oriente cubain. Ils amenèrent, outre unbon nombre d’esclaves noirs fidèles qui les suivirent dans leur exil, leurs patronymes, leurs instruments de musique, leurs habits élégants et leurs danses. Voilà pourquoi tant d’habitants de Santiago et de Guantanamo, y compris les Noirs descendants desesclaves, portent des noms français. Ici, les Courreaux, les Despaigne et les Duverger sont presque aussi nombreux que les Rodriguez, les Castillo ou autres Fuentes.

ImageLe folklore cubain incorpore des traces non négligeables de cette influence française. La Danse nationale du pays, le Danzon, peut être considérée comme une héritière directe des contredanses européennes. La présence de la flûte et du violon dans les orchestres de Charanga constitue une réminiscence des orchestres de bal qui animaient les soirées des colons français de Haïti.

Et surtout, il y a la Tumba francesa, que je connaissais déjà de nom, mais que je n’ai vraiment découverte qu’hier soir, sur la place Cespedes de Santiago de Cuba. La Tumba Francesa, c’est à la fois une forme d’expression culturelle et d’organisation sociale.

Image Le terme Tumba francesa désigne d’abord des sociétés de secours mutuel et divertissement regroupant des Noirs de l’Oriente Cubain d’ascendance haïtienne. Venues des temps de l’esclavage, souvent placées sous la discrète protection de Saints ou de Dieux d’origine africaine, certaines de ces associations sont toujours actives aujourd’hui. La plus connue à Santiago de Cuba s’appelle La Sociedad de la Caridad de Oriente. Elle joue un rôle majeur, en liaison avec la Casa de los Caribes de Santiago, dans la préservation et la transmission du patrimoine culturel afro-franco-cubano-haïtien.

ImageMais la Tumba Francesa est surtout connue, à l’extérieur de Cuba, comme une forme particulière de danse et de musique populaire. Les samedis et les jours fériés, les esclaves Noirs des plantations de Café de Saint-Domingue étaient autorisés par leurs maîtres français à se réunir pour se divertir et pratiquer leurs rites religieux. De ces fêtes naquit la Tumba Francesa, qui migra à Cuba avec ses pratiquants au début du XIXème siècle.

Image Au cours de ses deux siècles d’existence, celle-cia créé un très riche répertoire d’œuvres musicales, chantées et dansées mélangeant l’apport africain et européen en une étrange et fascinante synthèse. Tout dans cette expression culturelle est en effet métissage, à commencer par son nom : Tumba, car la musique est fortement influencée par l’Afrique, avec une instrumentation dominée par les tambours battant les rythmes Noirs, originaires notamment de l’ancien Dahomey et du Congo ; et Francese, parce qu’une partie des danses, en particulier celle appelée Masun ou Mason, estdirectement influencée par le menuet et la contredanse des maîtres Blancs (une autre partie, comme le Yubá ou le Frenté,est plus typiquement africaines et peut être considérée commeun antécédent direct de la Rumba).

ImageLe Mason, la plus connue des expressions de la Tumba Francese, est une danse collective particulièrement agréable à regarder, avec ses figures de quadrilles, ses rondes, ses carrousels, ses ponts, ses marches.Les paroles de ses chansons utilisent un dialecte particulier, mélangeant les langues africaines, l’espagnol et le français. Quant aux costumes, ils sont fondamentalement inspirés de la mode européenne… du XVIIème siècle. Les hommes portent des chemises bien amidonnées aux cols brodés, des gilets, des fracs et des pantalons à la française. Les femmes ont de longues et amples robes en coton de couleur pastel – rose, bleu, vert, blancs – traînant légèrement sur le sol, avec de larges cols, de grandes bordures ouvragées, des volants et des parements. Pendant la danse, ces robes volent dans les airs, comme des ailes de lumière. Bien sûr elles portent à la main un éventail. Mais cette influence européenne et aristocratique est quelque peu amodiée par la présence de quelques éléments vestimentaires d’origine plus rurale et/ou africaine : foulards ou turbans de couleur vive appelés Duvan, châles, colliers…

ImageJ’ai eu la chance de voir hier danser un Mason, sur la place Cespedes de Santiago de Cuba, dans un spectacle donné par le Conjunto Folklorico de l’Oriente à l’occasion du festival des Caraïbes. J’ai pris de nombreuses photos, dont je vous propose de découvrir une sélection dans le diaporama suivant : mason

ImageJe vous promet également au nom de FC, dans les jours et les mois qui viennent, de vous faire parvenir des entretiens avec de véritables spécialistes Santiagueros qui vous permettront de mieux connaître ces coutumes. En attendant, bonne vision et bonne découverte pour ceux qui ne connaissaient pas ce charmant héritage lointain de nos provinces, aujourd’hui disparu chez nous…

Fabrice Hatem

Pour en savoir plus sur la Tumba francesa :

http://www.archivocubano.org/vizcaino_15.html

http://www.sierramaestra.cu/aliansa%20francesa/franciasantiago/tumba.htm

Un mini -lexique sur les grands auteurs de la littérature cubaine

Un mini -lexique sur les grands auteurs de la littérature cubaine

Image L’amateur de salsa cubaine peut également souhaiter acquérir quelques rudiments sur la très riche littérature du pays. Cette fiche technique présente à cet effet quelques noms d’écrivains cubains ou liés à Cuba, parmi les plus connus d’entre eux (photo ci-jointe : José Marti).

Arenas, Reinaldo (1943-1990). Poète et romancier cubain, opposant au régime castriste, homosexuel, emprisonné à plusieurs reprises pour « déviation idéologique », Reinaldo Arenas finit par se réfugier aux Etats-Unis où il mourut du Sida en 1990. Un très beau film, Before the night falls, a été réalisé sur lui par Julian Schnabel. Parmi ses œuvres majuers, on peut citer le recueil de nouvelles Pentagonia, écrit entre le milieu des années 1960 et la fin des années 1980.

http://en.wikipedia.org/wiki/Reinaldo_Arenas

Barnet, Miguel (1940- ). Cet écrivain et ethnographe cubain est notamment connu pour ses ouvrages historiographiques racontant l’histoire du peuple cubain à travers la biographie d’individus représentatifs d’un groupe ethnique ou social. Parmi ses oeuvres majeures : Biografía de un cimarrón (1966), Galego (1983).

http://en.wikipedia.org/wiki/Miguel_Barnet

Cabrera Infante, Guillermo (1929-2005). Cet ex-partisan du régime castriste, tombé en disgrâce pour ses positions critiques, s’exila à Londres au milieu des années 1960. Son ouvrage le plus connu est Trois tristes tigres (1967).

http://en.wikipedia.org/wiki/Guillermo_Cabrera_Infante

Carpentier, Alejo (1904-1980). Un des maîtres de la littérature latino-américaine de l’après-guerre, Alejo Carpentier a notamment écrit plusieurs romans historiques sur les Caraïbes au tournant du XIXème siècle, comme El Reino de este Mundo (1949) et Le siècle des lumières (1962).

http://en.wikipedia.org/wiki/Alejo_Carpentier

Green, Graham (1904-1991). Le principal lien de cet auteur anglais avec Cuba est évidement son désopilant roman d’espionnage, qui fait revivre la ville de la Havane du régime de Batista : Notre Agent à la Havane (1958).

http://en.wikipedia.org/wiki/Graham_Greene

Gutierrez, Pedro Juan (1950 – ). Ce romancier cubain est notamment connu pour ses descriptions, crues et sans fard, de la vie dans les quartiers pauvres de la Havane, telles qu’on peut les trouver, entre autres, dans Trilogie Sale de La Havane (2001).

http://en.wikipedia.org/wiki/Pedro_Juan_Guti%C3%A9rrez

Hemingway, Ernest (1899 – 1961). Ce romancier américain passa de longs moments de sa vie à Cuba, dans les années 1940 et 1950. Parmi celles de ses œuvres qui ont été inspirées par l’île et ses habitants, on peut citer notamment Le Vieil Homme et la Mer (1952).

http://en.wikipedia.org/wiki/Ernest_Hemingway

Lima, Josè Lezama (1910 – 1976). Ce poète et écrivain Cubain est notamment connu pour son roman semi-autobiographique Paradisio (1966).

http://en.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Lezama_Lima

Manet, Eduardo (1930 – ). Ecrivain et cinéaste cubain, auteur notamment de Rhapsodie Cubaine (1996).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Eduardo_Manet

Marti, José (1853 – 1895). Poète et journaliste, il a également été l’une des plus grandes figures du mouvement indépendantiste cubain, pour lequel il donna sa vie llors de la guerre d’indépendance.

http://en.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Mart%C3%AD

Sarduy, Severo (1937- 1993). Poète, romancier et auteur dramatique, il passa les vingt dernières années de sa vie à Paris où il mourut du Sida en 1993. Il est l’un des auteurs les plus connus de la littérature cubaine du XXème siècle.

http://en.wikipedia.org/wiki/Severo_Sarduy

Valdès, Zoé (1959 – ). Ecrivain cubaine, vivant à Paris, elle décrit le quotidien difficile et désabusé des cubains d’aujourd’hui dans des romans tels que Le néant quotidien (1995) ou La douleur du dollar (2000).

http://en.wikipedia.org/wiki/Zo%C3%A9_Vald%C3%A9s

Pour une vision d’ensemble sur le thème de littérature cubaine, on pourra également consulter le lien suivant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Litt%C3%A9rature_cubain

Fabrice Hatem

Une visite au musée-temple des orishas

Une visite au musée-temple des orishas

Samedi 4 septembre 2010, La Havane

ImageLa Salsa tire ses origines des danses populaires cubaines, au sein desquelles les rituels religieux associés aux Orishas tiennent une place éminente. Le rythme de base du Cha-Cha-Cha se retrouve dans les danses d’Elegba et d’Oggun. Le pas dit « de cubaine », dans celle de Chango. Le pas de mambo, dans (entre autres) la danse d’Obatala. Il me paraît donc indispensable, pour ne pas « danser idiot », de bien connaître ces modes d’expression traditionnels, ainsi que les croyances religieuses auxquelles ils sont attachés. C’est là l’un des objectifs majeurs que j’avais fixé à mon voyage à Cuba.

Le premier pas de ce périple initiatique fut une visite au musée des Orishas, qui est aussi le siège de l’association culturelle Yoruba. Situé pratiquement en face du Capitole, dans un bel immeuble à arcades, ce lieu est à la fois un musée, un lieu de spectacles et de conférences, et un temple religieux. C’est sans doute pour cette dernière raison que les photographies y sont interdites, ce qui explique le caractère relativement austère de cet article, uniquement constitué d’un texte écrit, sans pratiquement aucune illustration audio-visuelle[1].

En m’y rendant, j’étais, assez stupidement, convaincu que j’allais être déçu. Le grand hall d’entrée, assez dépouillé, ne payait vraiment pas de mine. Le prix du billet – 10 CUC – me paraissait prohibitif. Aucun guide audio-visuel ou imprimé n’était disponible. Les photographies et les vidéos étaient interdites. Bref, je m’apprêtais, en montant l’escalier qui conduisait au musée, situé au premier étage de l’immeuble, à passer directement mes dix CUC par profits et pertes, au titre d’une arnaque ordinaire pour touriste naïf.

J’avais totalement tort. Je n’exagère pas en disant que, de toutes les visites de musées que j’ai accomplies dans mon existence – à part peut-être celle du musée national chinois de Taïwan – celle-ci fut à la fois la plus émouvante, la plus distrayante et la plus instructive.

Dès mon entrée, je fus pris en charge par une guide qui ne fit l’immense cadeau d’une visite commentée de près de deux heures, à mon unique intention, car j’étais à peu près le seul visiteur ce matin-là. D’abord cantonnée à d’intéressantes mais superficielles généralités sur la religion Yoruba, mon initiatrice s’anima en comprenant à mes questions que le sujet ne m’était pas totalement inconnu. Elle-même Santera et fille de Oya, elle me fit alors bénéficier, avec beaucoup de générosité et d’enthousiasme, de son grand savoir sur les mythes des Orishas. Et cette visite se transforma alors pour moi en un émouvant voyage culturel et poétique vers le monde des croyances afro-cubaines.

Le musée présente lui-même une configuration assez originale. Imaginez une enfilade de quatre grandes et longues salles très hautes de plafond, organisées selon un plan rectangulaire autour un patio central. Dans chacune de ces salles, trônent le long des murs deux rangées d’immenses statues de plus de 3 mètres de haut, la plupart en argile, quelques-unes en pierre ou en bois. Entourées chacune d’une prolifique végétation (factice), elles sont installées sur de larges socles qui les placent en surplomb des visiteurs. Ceux-ci doivent donc lever la tête pour les contempler, ce qui ajoute encore au sentiment de majesté qui s’en dégage. Devant chaque statue, on trouve un petit texte résumant l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur l’Orisha : son nom, sa généalogie, ses principaux pouvoirs et attributs, les lieux qu’il fréquente habituellement, ses goûts, les particularités des rites le concernant, son équivalent catholique, etc.

Ces textes assez bien faits, opportunément complétés par les commentaires de grande qualité de ma guide, ont significativement contribué à améliorer ma connaissance de la religion Yoruba.

J’ai ainsi découvert que le panthéon des Orishas ne se limitait pas aux figures les plus connues en Europe, comme Chango, Yemaya ou Ochun, ni même à ceux que mes investigations personnelles m’avaient déjà permis de rencontrer, comme Obba, Osain, Oya, Oggun, Elegba, Obalala, Inle, Agayu, Obatala ou Babalu Aye. A la fin de ma visite, des noms nouveaux ou peu familiers jusque-là, comme, entre autres, ceux d’Echu, des jumeaux Beyis, de Bromu et Broncia, de Yewa, d’Orishaoka, d’Oshumare, d’Ochosi, de Nana Bukua et d’Olosa, s’étaient ajoutés à ces listes sacrées. Mais rassurez-vous : je ne vous infligerai pas ici une description des caractéristiques de chacune de ces Divinités – que vous pouvez par ailleurs facilement trouver sur internet.

J’ai également mieux compris certains aspects de la religion des Orishas : son caractère syncrétique lié à la fusion de croyances venus de différentes régions d’Afrique dans un environnement dominé par le catholicisme ; la place centrale accordée la nature et aux morts ; l’existence de très nombreuses variantes dans les mythes transmis par la tradition orale et non unifiés par l’action d’une théocratie centralisée ; la vision du Bien et du Mal comme deux face opposées mais complémentaires de la même énergie fondamentale ; le fait que la religion Yoruba propose au croyant un véritable quête spirituelle, marquée par un cheminement initiatique complexe ; la proximité parfois étroite existant entre les Orishas et les êtres humains, etc. J’ai détaillé ces différents points en annexe à l’attention du lecteur intéressé.

En conclusion, je suis sorti de cette visite enthousiasmé, et bien décidé à retourner dans ce musée-temple pour approfondir ma connaissance de la religion Yoruba. Et j’espère aussi avoir suscité chez vous le désir vous lancer également à la découverte de la merveilleuse culture populaire afro-cubaines dont notre Salsa bien-aimée constitue qu’un tout petit rameau très récent, quelque peu déconnecté aussi des traditions et des croyances anciennes qui ont rendu possible son existence.

Fabrice Hatem

 

 

Annexe : quelques réflexion sur la religion des Orishas


Je vous propose ici une synthèse des réflexions que la visite du musée des Orishas de la Havane a suscité en moi. Celles-ci s’organisent autour d’une petite dizaine d’observations[1].

Une religion syncrétique et agrégative

Il existe dans la Santeria, religion des descendants d’esclaves Noirs originaires de différentes parties d’Afrique et vivant dans une société catholique, deux formes superposées de syncrétisme.

Le premier syncrétisme, le plus connu, est celui qui associe à chaque Orisha un saint catholique, ce qui permettait aux esclaves Noirs de continuer à pratiquer leur religion traditionnelle tout en respectant les apparences – et en intégrant aussi les croyances et les superstitions – de celle de leur maîtres. Par exemple, Elegba est assimilé à Saint Antoine de Padoue, Ochosi à Saint-Norbert, Oggun à Saint Pierre, Yemaya à la Vierge de Regla, Obatala à la Vierge de la Merced, Ochun à la Vierge de la Caritad del Cobre, Inle à Saint-Raphaël, Agayu à Saint Christophe de la Havane, Orula à Saint-François d’Assise, etc.

Le second syncrétisme, plus profond car touchant à la structure même des croyances, vient de l’agrégation, au sein du même panthéon religieux ayant pris à Cuba sa forme définitive, de Dieux ou d’esprit originellement honorés séparément dans les différents régions d’Afrique (de l’ouest) dont étaient originaires les esclaves et leur descendants. Par exemple, Oshun vient du Nigeria. C’est également le cas d’Obba, où une lagune dont la légende lui impute la création porte encore aujourd’hui son nom. Par contre, d’autres Orishas, comme Yemaya et Oshumare (servante de Chango), viennent vraisemblablement du Dahomey. Dans certains cas, ce phénomène de syncrétisme s’est produit en Afrique même, bien antérieurement à la période de l’esclavage colonial. Par exemple, Oddua, d’ailleurs représenté, de manière significative, par une statue d’Osiris dans le musée des Orishas, serait un Dieu originaire d’Egypte et adopté par les Yorubas.

Une mythologie non unifiée

Provenant de l’agrégation de croyances d’origine diverses, transmises uniquement par la tradition orale, non unifiées par l’action d’un clergé ou d’une théocratie centralisée, les mythes Yoruba se déclinent en une multitude de versions souvent assez éloignées les unes des autres, et parfois totalement contradictoires.

Ainsi, selon les récits, Ochun, ruinée par sa générosité ou privée de l’aide de son époux Inle, a du devenir lavandière ou se prostituer pour pouvoir nourrir ses enfants ; toujours selon ces différents récits concurrents, elle a pu se sortir de cette situation, soit par la compassion de sa sœur Yemaya, soit par celle de l’ensemble des Orishas, soit par une rencontre avec le plus riche d’entre eux, Aye Shaluga, qui tomba éperdument amoureux d’elle. Agayu est selon les versions, le père ou le frère de Chango, voire Chango lui-même. Certains affirment que Oya a volontairement quitté le brutal Oggun par amour pour Chango, d’autres que Chango l’a enlevée de force, d’autres encore que Oggun l’a chassée parce qu’elle était trop souvent ivre.

Et ce ne sont là que quelque exemples de ces infinies variantes dans les récits sacrés, liée à la fois aux origines diverses de ces mythes et aux déformations introduites par leur transmission orale. Il est inutile, à mon humble avis, d’y rechercher une cohérence qui n’existe pas, puisque personne n’a pensé à la créer. A chacun, peut-être, de choisir la version à laquelle il préfère croire en fonction de ses choix moraux, de son vécu personnel, de son caractère…

Le Bien et le Mal, deux faces de la même énergie fondamentale

Dans nos religions monothéistes, le Bien est le Mal sont considérés deux forces intrinsèquement opposées, qui s’affrontent pour le contrôle du Monde. Dans la religion Yoruba, ils sont plutôt présentées comme deux expressions, positives et négative, (donc opposées mais aussi complémentaires), de la même énergie fondamentale[2].

C’est pourquoi, sans doute, ces deux principes coexistent au sein de la plupart des Orishas. Chango est à la fois menteur et détenteur de la vérité, justicier et capable des pires injustices. Babalu Aye possède de très grands pouvoirs de guérisseur, mais est lui-même très malade. Elegba a une face positive – il est par exemple farceur et aime bien les enfants – mais aussi une face très négative, en la personne du redoutable Echu.

Le cas de Yemaya est particulièrement intéressant et complexe. Yemaya, être d’une grande élévation spirituelle, a cependant commis plusieurs transgression graves, comme (selon certaines traditions) l’inceste avec son fils Oggun ou le vol des tables divinatoires de son premier mari Orula pour pouvoir pratiquer et art en principe interdit aux femmes. Fondamentalement bienfaisante, elle peut aussi prendre la forme d’Olokun, Orisha aux violentes colères, enchaîné au fond des océans. Mais ce Dieu, qui pour tout simplifier est à la fois femme et homme, et aussi celui qui donne stabilité et fermeté aux monde et aux hommes.

L’importance des Morts et de la Nature

Née dans des sociétés primitives ou très proches de la Nature, il était logique que la religion Yoruba donne une grande place à celle-ci. C’est par exemple là que se trouve l’habitus de la plupart des Orishas. Oggun, Osain et Ochosi, vivent dans la forêt ; Obba vit près des lagunes ; Ochun, à proximité des rivières et des lacs ; Yemaya, dans la mer.

Chaque Orisha est également étroitement associé à un certain nombre de plantes, animaux ou élément naturel. Le bâton d’Elegba est fait de goyave. Chango vit dans les palmiers royaux et est maître du tonnerre. Oya gouverne le vent et la tempête. Agayu est maître des volcans. Oshumare est chargée de répartir les eaux sur la terre. Osain connaît les secrets des plantes magiques et médicinales.

Les morts et les esprits sont également très présents dans les croyances Yoruba, ce dont témoigne leur importance dans la vie et les habitudes des Orishas. Obba vit au fond des cimetières, tandis qu’Oya a élu domicile à l’entrée de ceux-ci. Maîtresse des morts, elle contribue à équilibrer leur énergie positive et négative. Nés au fond d’une tombe, les jumeaux Bromu et Broncia connaissent les secrets des morts. Ododuwa, fils de Olodumare et frère de Obatala, est aussi le « gardien » des morts (d’un mot africain désignant le contremaître des esclaves). Yewa est maîtresse des cimetières.

Une forte proximité entre les Orishas et les Hommes

Bien que vivant dans un monde inaccessible aux humains, les Orishas ont avec ceux-ci une certaine forme de proximité, lié à leur caractère, à leurs lieux de culte, à leurs exigences aussi vis-à-vis des mortels.

Par exemple, Elegba, protecteur des enfants et lui-même très joueur et facétieux, aime bien qu’on lui offre des jouets. Mais Echu, sa face négative, vit dans les rues où il s’évertue à provoquer des accidents pour offrir le sang des hommes à son ami Oggun. Il ne doit pénétrer sous aucun prétexte dans les maisons, où il apporterait toutes sortes d’ennuis. On lui laisse donc de la nourriture au dehors, pour qu’il ne soit pas tenté de venir en chercher à l’intérieur.

Il n’existe pas à proprement parler de temple consacré à chacun des Orishas. Bien sûr, les pèlerins désireux d’honorer Yemaya affluent vers l’église de la Vierge à Regla, tandis que l’église de la Caritad del Cobre à Santiago de Cuba joue le même rôle pour Oshun. Mais ces lieux restent fondamentalement des églises catholiques, sans signe extérieur de leur rôle dans la Santeria. Le vrai temple des Orishas est en fait la petite niche où ils sont honorés dans chacune des maisons de leurs adeptes.

Les comportements des hommes sont rythmés par des obligations et les interdits liés aux Orishas dont ils sont censés être les enfants. Par exemple, les filles d’Oshun sont coquètes et joliment habillées, alors que les filles de Yemaya jouissent d’une intense vie spirituelle. Les fils de Chango doivent éviter de porter la main sur les filles d’Oshun, sous peine de terribles représailles de la part de la déesse qui protège celles-ci de la violence des Hommes.

La force de la spiritualité

Beaucoup ne veulent voir dans les religions africaines que des croyances primitives reposant sur un tissu de superstitions sommaires. Dans le cas de la religion Yoruba, cette vision me semble assez inexacte, car sa métaphysique sous-jacente est assez complexe et témoigne d’une forme assez poussée de quête spirituelle, où le croyant peut être soutenu dans sa démarche par l’un ou l’autre des Orishas.

Chacun des principaux Saints incarne d’ailleurs un principe spirituel : Ochun, la générosité et l’amour ; Odolumare, divinité première, distante et sans visage, le principe fondateur du monde ; Orishaoka, maître de l’agriculture,la force de la vie et de la Nature ; Obatala, créateur de la Terre et des êtres humains, la pureté la sagesse et l’intelligence ; Oya et Obba la fidélité féminine (sous une forme plus active pour la première, plus passive pour la seconde) ; Elegba, début et fin de tout, le rôle du hasard. Les croyants à la Santeria se définissent d’ailleurs comme une « communauté spirituelle », dont Nana Bukau, sœur de Yemaya, est censée être la protectrice (ou plus exactement, la « tante »).

La complexité des rites initiatiques et des croyances

L’un des aspects majeurs de la Santeria est le chemin initiatique à travers lequel le croyant va « recevoir » un Orisha (deux : un père et une mère, selon ma guide) et devenir son fils ou sa fille. Il pourra alors accéder au statut de « Santero ». Mais il doit pour cela passer par une longue période (un an environ) de purification, pendant laquelle il doit se soumettre à de multiples rites (port d’habit blancs, abstinence(s), célébrations diverses, pèlerinages, etc.).

Ces rites d’initiation obéissent à des règles complexes, avec des interdits parfois étranges, des cheminements un peu tortueux et des fonctions bien spécifiques attribuées à certains Orishas. Osun la colombe doit être reçue par le nouvel initié à la Santeria avant tout autre saint. Inle, dont Yemaya a coupé la langue pour qu’il ne révèle par les secrets de la divination, ne parle aux hommes qu’à travers elle. Contrairement aux autres Orishas, Obba ne se « reçoit » pas sur la tête, mais sur les épaules.

Il existe également de multiples chemins pour « venir » aux Dieux, liés à la diversité de leurs apparences : on peut ainsi venir à Elegba par 21 chemins ; à Echu – qui est lui-même la partie négative d’Elegba – par 101 chemins.

Fabrice Hatem

[1]Je n’évoquerai pas dans ce texte le rôle central de la danse et des tambours dans les cérémonies religieuses. Ce dernier point n’a en effet pas été abordé en tant que tel lors de ma visite au musée des Orishas.

[2]L’une des principales fonctions d’Ochosi le chasseur est d’ailleurs d’équilibrer ces forces positives et négatives.

 

Chango, l’homme fait Dieu, le Dieu à figure humaine

Chango, l’homme fait Dieu, le Dieu à figure humaine

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Chango tient une place très importante dans le panthéon des Orishas. Dieu du tonnerre et des éclairs, il incarne la force et la séduction viriles. Il est également très fortement identifié à la guerre.

Chango a également plein de défauts. Il est glouton, coureur de jupons, viveur, parfois malhonnête, mais surtout impulsif, coléreux et violent. Il a, en conséquence de ses méfaits, beaucoup d’ennemis, qu’il doit souvent affronter seul. D’où d’assez fréquentes défaites qui l’obligent alors à la fuite.

Pourquoi un être aux qualités morales aussi contestables a-t-il été érigé au rang de divinité majeure par les afro-cubains ? Pourquoi, malgré ses nombreux défauts, possède-t-il un aussi grand pouvoir de séduction auprès des femmes ? Je chercherai, dans cet article, à répondre à ces deux questions.

Mon idée fondamentale est que Chango, comme sa Maîtresse Ochun, suscitent en nous l’empathie car ils nous rendent le monde plus vivable et plus familier, puisque ces Dieux finalement nous ressemblent, dans leurs grandeurs comme dans leurs défauts.

Mais le mythe de Chango nous décrit également un univers fondamentalement imparfait, constamment menacé par l’irruption de la violence et de l’injustice dont le Dieu, exprimant en cela son humaine imperfection, est capable. Et il en sera ainsi pour l’Eternité, car Chango restera toujours le même.

Pour consulter cet article, cliquez sur le lien suivant : Chango (pdf)